C'est le cas des vastes places haussmanniennes, qui desservent les gares et les longs boulevards tout en faisant souvent le lien entre plusieurs arrondissements. Dans une capitale dominée par le trafic motorisé, il n'est donc pas étonnant qu'elles contribuent à soulager une circulation saturée et envahissante. Alors, pour répondre aux attentes des adeptes des mobilités douces (piétons, cyclistes, « trotti-nettistes », skateboarders… ), la Maire de Paris, Anne Hidalgo a lancé en 2015 la concertation sur le réaménagement de sept grandes places parisiennes. Porté par l'adjoint à l'espace public Christophe Najdovski, le projet Réinventons nos places pousse à la reconquête de ces espaces publics un peu « perdus » pour essayer d'en faire des havres de paix et de nature. Avec un budget de 30 millions d'euros, le choix est porté sur les places de la Bastille (4e /11e /12e arrondissements), Gambetta (20e ), de la Nation (11e ), d'Italie (13e ), du Panthéon (5e ), de la Madeleine (8e ) et des Fêtes (19e ).
Ainsi, dans le but déclaré d'« apaiser l'espace public, rééquilibrer les usages au profit des piétons, des cyclistes et des transports en commun, et valoriser et développer les espaces naturels », le projet promeut l'émergence de nouveaux principes de circulation et de répartition de l'espace afin de retrouver le plaisir de se poser et se reposer.
La démarche de la Ville de Paris se veut inclusive et participative, sur un principe de co-conception et co-construction, à la fois au sein des services de la Mairie et entre les prestataires externes qui interviennent sur le terrain.
Depuis son lancement, le projet avance sous le signe de la concertation : les Parisiens ont été encouragés à proposer des idées via une plateforme participative en ligne et lors de permanences in situ (expositions sur l'histoire des places, panneaux participatifs et tables rondes). Ainsi, une période ponctuée de réunions de concertation est entamée en 2015 et le premier bilan rendu public en 2016. Une chose est sûre, la transformation va s'opérer par les usages, réels et souhaités. La place de demain est déjà là !
À NATION, ON SORT LES BÊCHES
Gros chantier que celui de la place de la Nation, où les potentialités de réaménagement sont prometteuses. De juillet à octobre 2015, dans le cadre des concertations préalables aux travaux, déjà 103 contributions écrites et 369 participations aux ateliers organisés par la Mairie sont enregistrées. Le bilan est clair : le sujet (épineux) de la circulation cristallise les avis négatifs, les traversées piétonnes sont perçues comme dangereuses, et la signalétique s'avère peu lisible par les usagers des transports en commun. Bref, il s'agit tout au plus d'une place de passage, loin du lieu de fête qu'elle était autrefois lors de la mythique Foire du Trône réunissant tous les Parisiens (la place de la Nation s'appelait autrefois la place du Trône). Après ce premier bilan suivi de la conception d'un avant-projet, une nouvelle étape se profile en 2017.
Lauréat de l'appel d'offre lancé par la Ville pour mener la co-construc-tion, c'est le collectif Coloco qui investit les lieux et y inaugure l'opération Jardination pour rendre 7 000 m2 aux piétons et végétaliser l'anneau central de la place.
Au programme : un travail de terrain doublé d'un test grandeur nature qui permet tant aux promeneurs qu'aux experts d'imaginer, d'expérimenter et de faire part de leurs remarques, et ainsi nourrir le projet des travaux définitifs. Coloco est le genre de collectif qui sort des sentiers battus. Persuadés que l'espace urbain est en devenir, les paysagistes, jardiniers, urbanistes et artistes de l'équipe réalisent, en tant que maîtrise d'œuvre 2 (la maîtrise d'œuvre 1 étant les services de la Ville) la phase de diagnostic sensible de la place. « Nous avons questionné le patrimoine écologique, relationnel, symbolique et sensible de la place de la Nation : comment les gens la vivent ? Qu'est-ce qu'ils y font ? Comment ils s'y sentent ? Ça va des questions de sécurité ressentie jusqu'au patrimoine poétique de l'espace public », explique Pablo Georgieff, co-fondateur de Coloco et coordinateur du projet.
Concrètement, le diagnostic puis les orientations retenues résultent d'une longue période de test qui s'est déroulée de février à septembre 2017 (avec cent quatre-vingt-trois jours de présence sur les lieux) : « Cette phase de préfiguration a été cruciale pour la suite du projet d'aménagement. Nous avons dès le départ pu accompagner l'émergence de nouveaux usages lorsque l'on a réduit les voies de circulation de huit à quatre. Autour de l'anneau central s'est alors développé un tout nouveau territoire piéton et cyclable, que les habitants se sont vite appropriés. »
Le diagnostic s'articule autour de quatre missions itinérantes : l'Escadrille de reconnaissance et d'observation sensible (Eros), le Peloton informel d'exploration du territoire (PIIT), la Mission amicale de reconnaissance écologique (Mare) et l'Agence nationale de psychanalyse urbaine (Anpu).
Les quatre équipes ont travaillé en synergie pour réaliser une étude fine des comportements, usages, circulations et activités existants et désirés sur la place. « Pendant près de huit mois, nous avons arpenté la place et ses alentours pour l'interroger, en déceler les dysfonctionnements, en (re)découvrir le potentiel, dans une démarche expérimentale et novatrice qui redéploye la procédure classique des travaux publics », poursuit Pablo Georgieff. Le travail de terrain éclaire et épaissit les connaissances sensorielles, écologiques et fonctionnelles des lieux. Résultat : l'esquisse de l'avant-projet est complètement redessinée par la pratique du terrain. « Si la co-conception n'est pas un long fleuve tranquille, il est certain que l'optimisation des usages et des budgets en est déjà un résultat concret », conclut-il.
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