Rédigé par Élodie Randrema, Benjamin Ploux, Emmanuel Cau d'Auxilia conseil | Publié le 04/05/2018
L'ambition de la réglementation concernant les constructions futures met en lumière l'enjeu majeur qu'est la rénovation énergétique des logements existants - qui nécessite des efforts importants en termes financiers, techniques et organisationnels.
Le parc résidentiel français actuel comprend environ 34 millions de logements, dont 73 % de classe énergétique E, F ou G. L'enjeu des prochaines années se situe donc dans la rénovation énergétique massive et performante des habitations. L'effort de réhabilitation apparaît comme un levier de choix en matière environnementale (diminution des consommations d'énergie et des émissions de gaz à effet de serre), mais aussi économique : le scénario « Rénovons ! » prévoit la création nette de 126 000 emplois dans le secteur du bâtiment d'ici à 2025. Cela s'accompagne d'une multitude de cobénéfices : gain de pouvoir d'achat des ménages, montée en compétence des professionnels, confort des logements ou encore revalorisation patrimoniale des biens rénovés. Il existe aujourd'hui au niveau national nombre d'outils et dispositifs, tels les « points rénovation info service », et des aides financières mobilisables (crédit d'impôt, écoprêt à taux zéro, etc. ).
Il existe aujourd'hui au niveau national nombre d'outils et dispositifs, tels les "points rénovation info service", et des aides financières mobilisables.
En complément de ce cadre national, de nombreux territoires se sont saisis de la question de la rénovation du parc privé ces dernières années, notamment par des démarches transversales de transition énergétique telles que les plans climat-air-énergie territoriaux, les PCAET. Parmi le foisonnement d'initiatives, il y a l'accompagnement des collectivités territoriales dans leurs démarches de réhabilitation des logements énergivores.
Le premier défi est d'engager la massification de la rénovation énergétique en garantissant la qualité technique des travaux et le respect de l'environnement. Il suppose d'importants moyens, sinon une réelle innovation dans les modèles de financement des travaux.
Le second défi est celui de la précarité énergétique des ménages les plus vulnérables, dont le nombre augmente régulièrement. Sans intervention sur la performance thermique de l'enveloppe bâtie, les ménages sont toujours plus exposés à l'augmentation du prix de l'énergie.
MASSIFIER LA DYNAMIQUE DE RÉNOVATION
Les plateformes territoriales de la rénovation énergétique, mises en œuvre à l’échelle des intercommunalités, ont été reconnues en 2015 par la loi de transition énergétique pour la croissance verte.
Les plateformes territoriales de la rénovation, un outil opérationnel
D'abord soutenues par l'Ademe et les régions, financées en partie par les fonds TEPCV (territoires à énergie positive pour la croissance verte), les plateformes opérationnelles sont aujourd'hui au nombre de 150. L'Ademe ambitionne d'en développer 300 dès 2019. Ces plateformes ont vocation à massifier la dynamique de rénovation énergétique sur un territoire en jouant le rôle de « guichet unique » auprès des habitants. Elles ont une mission d'accueil, de conseil et d'information du propriétaire, et jouent le rôle d'ensemblier entre les acteurs de la rénovation énergétique. Associant les sphères publiques (principalement les collectivités) et privées (organismes professionnels du bâtiment, associations, etc.), l'activité des plate-formes s'inscrit ainsi dans trois champs d'action. Les animateurs de plateformes interviennent auprès des particuliers (conseils sur les travaux à réaliser, accompagnement pour l'obtention des aides, etc. ), contribuent à la structuration et la qualification de la filière professionnelle, et mobilisent les acteurs de la transaction (tiers financement, mécanismes bancaires, agences immobilières, notaires…).
Les phases d'expérimentation des premières plateformes arrivant à leur terme, tout l'enjeu est désormais de passer à la vitesse supérieure, dans une visée de massification des rénovations et de pérennisation financière des dispositifs. Par ailleurs, si les plateformes de rénovation ont une mission générique, les particularités propres à chaque territoire conduisent à des modèles parfois bien distincts. Les dispositifs accompagnés dernièrement par le cabinet de conseil Auxilia illustrent ainsi deux cas de figure développés ci-dessous.
Précoréno et Rénofuté
Parmi les toutes dernières nées, la plateforme Précoréno (communautés de communes de Mimizan et de Cœur-Haute-Lande) a privilégié l'innovation en matière de financement : les revenus issus de la production photovoltaïque de la collectivité seront réinvestis afin de soutenir les projets de rénovation des habitants. Une boucle vertueuse par excellence, afin de mobiliser les financements nécessaires à la massification !
Le cas de la plateforme ardéchoise Rénofuté est tout autre. Le dispositif a la particularité d'être porté par une maîtrise d'ouvrage collégiale composée du parc naturel régional des Monts d'Ardèche pour les missions transverses - en particulier la communication - et de trois structures (syndicats ou intercommunalités) représentant l'ensemble des collectivités membres. Opérationnelle depuis plusieurs mois, Rénofuté fait actuellement l'objet d'une réflexion quant à la pérennisation de son activité : quelle gouvernance à l'échelle du département ? quels services proposés aux habitants ? quelle articulation avec l'ensemble des parties prenantes ? pour quel modèle de financement ?
Les premiers résultats de la plateforme mettent en évidence un certain nombre de constats : l'effet levier des aides aux travaux dans le passage à l'action des habitants, l'engagement commun dans ce dispositif des intercommunalités portant par ailleurs des politiques de l'habitat bien distinctes, la nécessité de clarifier la gouvernance et d'améliorer la fluidité des informations entre les acteurs de l'accompagnement. Ces éléments interrogent toutes les dimensions du dispositif. Il s'agit aujourd'hui pour le territoire de se positionner sur la gouvernance des structures référentes, pour ensuite convenir collectivement du rôle de la plate-forme vis-à-vis des habitants.
L'accompagnement des particuliers représente le premier poste de dépenses des plateformes de rénovation énergétique (85 % en moyenne, source Amorce 2016) : la définition du périmètre de cet accompagnement est donc primordiale, et s'accompagne d'une réflexion sur les mutualisations possibles avec d'autres structures telles que les opérateurs Anah (Agence nationale de l'habitat), les espaces « info énergie »... On peut également citer des acteurs tels que les syndicats d'énergie ou toute autre structure susceptible de valoriser des certificats d'économies d'énergie (CEE) : la mutualisation d'ingénierie pourrait permettre d'obtenir un tarif plus intéressant, et ainsi proposer un coup de pouce financier aux habitants tout en dégageant une recette pour le fonctionnement de la plateforme.
Quant au périmètre de cet accompagnement, la plateforme doit-elle privilégier la massification ou la performance énergétique ? Selon la priorité envisagée, le dimensionnement de l'accompagnement ne sera pas le même : la massification suppose un accès du plus grand nombre à la rénovation, donc des coûts moindre d'accompagnement, et des exigences de travaux n'atteignant pas forcément le niveau BBC. D'un autre côté, privilégier l'ambition BBC pour tous les projets signifie une restriction des publics concernés, plus de temps d'accompagnement et donc un coût de fonctionnement par dossier plus important. L'enjeu de la rénovation par étape peut être une piste de réflexion pour les territoires, avec une complexité accrue du suivi des ménages au fil du temps, et le besoin d'outils et de méthodes pour proposer un tel service.
La démarche menée en Ardèche avec l'ensemble des parties prenantes vise à réinterroger le modèle actuel sous le prisme de l'efficacité du dispositif, la qualité des services proposés aux habitants, ainsi que son articulation avec l'ensemble des partenaires du secteur. Ce sont autant de questions auxquelles les territoires devront répondre pour ancrer durablement les dispositifs comme des outils au service des habitants et des artisans.
ENDIGUER LA PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE
Si la réhabilitation thermique des logements est une priorité dans le cadre de la transition énergétique, elle est incontournable en matière de lutte contre la précarité énergétique. Cette situation correspond au fait de consacrer une trop grande partie de son budget (10 % et plus) à payer ses factures, ou bien à limiter, voire à se priver de chauffage afin de pouvoir boucler son budget.
Un défi social
Selon l'Observatoire national de la précarité énergétique, la France comptait en 2016 environ cinq millions de ménages vulnérables (soit près de 12 millions de personnes).
Face à ce défi social, agir de manière curative (par l'aide au paiement des factures, par exemple) ne suffit plus. L'Anah et l'État l'ont bien compris en mettant en place le programme « Habiter mieux », qui consiste en un accompagnement technique et financier des ménages modestes dans leur projet de rénovation thermique. Il s'agit de concilier le coût et la technicité des travaux de performance énergétique avec le manque de ressources des ménages concernés, dont l'immense majorité occupe des logements très énergivores : les « passoires thermiques ».
Exemple du département des Yvelines
Si les objectifs du programme Habiter mieux n'ont pu être atteints au niveau national pour les années 2016 et 2017 (respectivement 70 000 et 100 000 rénovations), les résultats sont très positifs dans certains territoires. C'est le cas du département des Yvelines : choisissant de se positionner comme chef de file de la lutte contre la précarité énergétique, le conseil départemental, en partenariat avec l'État et l'Anah, a mis en place un dispositif qui a fait ses preuves. Depuis 2015, les objectifs ont été chaque année dépassés, avec un total de plus de 2 430 logements rénovés. Les Yvelines se sont ainsi hissées au troisième rang national en nombre de ménages aidés e place en 2014).
Pour atteindre de tels résultats, le département a choisi d'apporter une réponse à deux des principales difficultés dans la réhabilitation des logements de propriétaires modestes : l'accès au ménage (pour l'informer et l'accompagner) et sa solvabilisation. Sur ce dernier point, le conseil départemental a choisi de mettre en place une aide financière importante s'ajoutant aux subventions de base : le reste à payer par les ménages est ainsi réduit. Surtout, le département des Yvelines a su travailler à une meilleure identification et information des propriétaires éligibles, à travers la mise en place d'un véritable dispositif d'animation pérenne et ambitieux. Par une implication étroite des collectivités, des acteurs de l'habitat (espaces info énergie, Adil, CAUE… ) et du social (CCAS, CAF… ), il s'agit de mailler le terrain et d'assurer un repérage de proximité. C'est là le meilleur moyen de garantir une information adaptée à des foyers parfois difficiles à atteindre (isolement, âge avancé, zones rurales, etc. ). Ce réseau de partenaires a été animé durant trois ans par Auxilia et LogisCité, à travers l'organisation de réunions de partage de bonnes pratiques et de formations, la production de contenus ou encore la diffusion de bilans et analyses. La mobilisation et l'animation du réseau sont la clé de voûte du dispositif, permettant d'abord aux différents interlocuteurs de se rencontrer et d'échanger. Interroger les intervenants locaux sur leurs besoins a permis de leur apporter les réponses les plus adaptées et pertinentes : outils de communication, repérage des ménages, cartographies, veille… Cette méthode a ainsi permis d'accélérer la prise en main du dispositif par les acteurs de terrain indispensables que sont les communes, intercommunalités et organismes sociaux.
Enfin, un véritable plan de communication a également été mis en place, exploitant un large panel de canaux de diffusion : espaces numériques, affichages et flyers, journaux des collectivités, etc. Le dispositif piloté par le conseil départemental, associant levier financier, animation du réseau d'acteurs et communication, a porté ses fruits : chaque euro investi dans l'ingénierie d'animation par le département a permis de générer 15 euros de travaux d'amélioration thermique.
Mais cette réussite au niveau local ne peut occulter les défis qu'il reste à relever en matière de rénovation des passoires thermiques : mobilisation des propriétaires bailleurs et des copropriétés, qualité technique de certaines réalisations, diminution du reste à charge des ménages, etc. Autant d'enjeux qui seront au cœur du nouveau dispositif Habiter mieux 2018-2022, tant à l'échelle du département des Yvelines qu'au niveau national.
Article paru dans Ecologik 57 : Bâtiments passifs : actifs pour l'écologie