Thierry Paquot,
Philosophe de l'urbain
En ayant une approche rétro-prospective, comment les infrastructures de transport évoluent-elles généralement dans le développement et l'élargissement des villes ?
Le productivisme, qui naît à la fin du XVIIIe siècle et se déploie tout au long des XIXe et XXe siècles, va transformer progressivement tous les territoires. L’agriculture intensive mécanisée et « chimisée » génère l’exode rural, qui vient grossir la population des villes et réclame des logements. La ban lieue parisienne, par exemple, va se lotir au gré de l’extension du réseau ferré. Dès qu’une nouvelle commune est desservie par le train, les lotisseurs vendent des parcelles, non viabilisées, à des épargnants qui rêvent d'un Sam Suffit. Ces banlieusards vont vite déchanter… Il faut dire que les élus parisiens refusent que le métropolitain sorte de la capitale et irrigue les banlieues. Les citadins marchent, pédalent ou prennent l'autobus, qui se généralise dans la plupart des villes, ainsi que le tramway. Lorsque l'automobile devient accessible au plus grand nombre, les villes s'adaptent à elle et lui offrent des places de stationnement, des routes et des autoroutes, puis suppriment les tramways. Avec l'automobile, on réside hors de l'agglomération, dans le pavillon d'un village devenu dortoir et on fait ses courses dans un centre commercial qui périphérise le centre-bourg. La dépendance à l'automobile s'avère totale, au point où la désintoxication semble impossible. Pourtant, la ville pédestre et cyclable était la règle avant l'ère de l'automobile. En 1883, dans Le Vingtième Siècle, Albert Robida imagine un aéronef omnibus volant à 250 mètres au-dessus de la Seine, chaque embarcadère possède son ascenseur. Dans le ciel se croisent les aérocabs individuels. La science-fiction s'empare du thème des mobilités ; dans Travail (1901), de Zola, les automobiles sont électriques et, dans la plupart des récits d'anticipation, les voitures sont volantes, décollent verticalement et se garent sur les toits des gratte-ciel…
De plus en plus d'initiatives citoyennes semblent montrer une modification de la voie rapide au profit de voies piétonne, cyclable ou récréative. Pensez-vous que ce soit un indicateur de villes plus écologiques ?
Dès les années 60, des Américains se sont élevés contre les autoroutes urbaines venant éventrer leur ville, d'autres commençaient à dés as ph altise r les parkings... Paris a évité de peu d'être traversée par une voie rapide, mais a été encerclée par le fameux périphérique, qu'elle traîne comme un boulet ! L'autoroute s'impose comme signe de la modernité, d'où des mégalopoles aux contours indistincts bardées d'autoroutes et de rocades. Nous avons tous en tête Los Angeles, mais Le Caire, Téhéran, Bombay ou Bangkok voient leur tissu urbain déchiré par ces voies express, qui génèrent plus de bouchons que de fluidité ! Timidement, quelques villes abandonnent, le dimanche, leurs autoroutes aux habitants, qui les envahissent avec leurs vélos ou viennent y courir ou se promener ! L'inégale prise de conscience environnementale à laquelle nous assistons va dans le bon sens, celui d'une dénonciation du tout voiture et de la demande de transports publics maillant généreusement le territoire urbanisé. Mais les actions en ce sens tardent. Tout comme la gratuité des transports publics, le covoiturage, la voiture partagée, qui limiteraient les déplacements en automobile. Il faut redessiner les villes pour les piétons, en commençant par sécuriser les itinéraires des enfants se rendant seuls à l'école, limiter la vitesse à 20 km/h, réintroduire les commerces et les marchés dans les quartiers dotés d'un réseau via ire grandement végétalisé, avec un mobilier urbain amène et joyeux ! Ce sont des situations fragiles, qui reposent sur un maire décidé et charismatique -je songe ici à Jaime Lerner et à Curitiba -, qui peuvent connaître une régression au détour d'un changement de majorité. Rien n'est jamais acquis.
Dans ce sens, que pourrait devenir le périphérique parisien dans une vingtaine d'années ?
Le périphérique est un échec urbanistique, d'autant qu'il s'agit d'un ouvrage d'art particulièrement coûteux, aux conséquences environnementales et climatiques désastreuses… Que faire ? Si je rêve à haute voix, je répondrais : un anneau planté et végétalisé, avec des pistes cyclables et des petits véhicules -qui n'existent pas encore -, en libre accès et à la consommation énergétique minimale. Depuis cet anneau vert l'on pourrait rejoindre d'autres farandoles arborées, qui uniraient tous les squares, parcs, jardins, stades et « espaces verts » de la capitale et des communes mitoyennes. Nous obtiendrons ainsi un territoire-paysage qui, non seulement, sera beau, frais et favorable à la biodiversité, mais participera à la captation du carbone, tout en donnant des fruits et de l'ombre lors des étés chauds… Il aurait été opportun d'y faire circuler un tramway circulaire, mais c'est trop tard ! Transformons-le en boulevard urbain en boucle avec deux fois deux voies, plus une réservée aux taxis, aux bus et aux vélos. Le reste de la chaussée, les à-côtés et les abords seront généreusement plantés. Cette boucle sera régulée par des feux et la vitesse des véhicules limitée à 30 km/h. Dès qu'un véhicule empruntera un tronçon de ce boulevard, il sera taxé d'un euro, attribué exclusivement au financement des mobilités alternatives de la région parisienne.
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