Aymeric Meunier
co-fondateur et co-gérant de R-Use
Pourquoi vous êtes-vous intéressé au réemploi ?
Ingénieur structure dans le bâtiment depuis une quinzaine d’années, je mettais au point des solutions pour optimiser la matière au plus près des besoins du projet architectural et technique. Toutefois, je trouvais que l’innovation dans ce secteur se limitait souvent à la haute technicité pour repousser les lois de la gravité, et, finalement, incitait à fabriquer de nouveaux matériaux plus performants; alors que, parfois, il est plus sensé d’avoir recours à des matériaux existants ou des procédés low-tech pour le même résultat. Je trouvais le système de l’économie linéaire – extraction des ressources, exploitation, déchets – obsolète face aux enjeux environnementaux actuels. Pourquoi doit-on réduire à l’état de gravas, poussière et déchets des éléments qui sont, pour certains, encore largement utilisables dans leur fonction initiale, voire même quelquefois neufs et ayant une réelle valeur marchande ? C’est pourquoi j’ai voulu changer de modèle de travail et passer du « qui peut le plus, peut le moins» à « qui peut le plus avec moins !» Ainsi, mon associé Mathieu Paradas Arroyo et moi-même avons fondé R-Use en 2017, une société de conseil et d’ingénierie en réemploi.
Où en est la filière aujourd’hui ? Pensez-vous que ce soit un secteur d’avenir ?
La filière du réemploi est en phase de balbutiement. Beaucoup d’acteurs se disent prêts à intégrer le réemploi dans l’industrie du BTP, mais d’importants freins sont encore présents. Les principaux portent sur les aspects suivants : le juridique, où le statut du déchet pour un matériau ressource est difficile à contourner ; l’assurance, car les avis techniques n’existent pas sans tests et études de justification réglementaire ; le marché, qui comporte peu d’offres et peu de demandes, au sein duquel la mise en relation entre acheteur et vendeur est complexe ; le volet social, où l’image du réemploi est trop souvent associée aux produits vétustes; le processus de conception, qui est inversé ; et la partie économique, car il est malheureusement financièrement plus intéressant d’évacuer les matériaux vers les filières de recyclage et d’acheter du neuf que de réemployer. Cela étant, au vu du contexte naissant de raréfaction des matières premières, le secteur est obligé de se transformer pour moins extraire, moins produire, moins transporter, et donc réutiliser. D’autant plus que cet élan innovant va de pair avec l’emploi, puisque l’économie circulaire met en action des solutions de valorisation au niveau local et devient propice à la réinsertion professionnelle.
En quoi consistent vos métiers ?
R-Use propose un accompagnement sur les opérations de réhabilitation de bâtiments, déconstruction/reconstruction en tant qu’assistant à maîtrise d’ouvrage ou de maître d’œuvre sur le volet du réemploi et de l’éco-conception. Notre action est un trait d’union d’ingénierie entre la déconstruction et la construction. D’un côté, nous étudions la valorisation des éléments collectés et tentons de donner la meilleure issue environnementale à chaque matériau : conservation, réemploi in situ, réemploi ex situ, recyclage ; de l’autre, nous intégrons le réemploi dans le projet, en lien étroit avec les architectes, bureaux d’études et, bien sûr, le bureau de contrôle. En qualité d’AMO réemploi, nous intervenons sur plusieurs dossiers où notre rôle est de participer à la démarche de réemploi globale d’un territoire en facilitant celui sur notre projet. C’est le cas avec Plaine Commune et sa démarche de Métabolisme urbain, en Île-de-France, ainsi que La Fab de Bordeaux Métropole et son initiative Réemploi et de valorisation expérimentale en Aquitaine. Nous étudions actuellement le réemploi d’une multitude de matériaux, comme de la pierre de façade, des menuiseries extérieures, des cloisons, du faux plancher, du faux plafond, de la structure bois et métallique, des portes et d’autres éléments divers de second œuvre.
Qu’est-ce qui manque, selon vous, pour que le réemploi se développe ?
Pour améliorer et lancer la filière du réemploi en France, il faudrait faciliter la création de solutions constructives. Aujourd’hui, en tant qu’AMO réemploi sur nos opérations, nous peinons à trouver des réponses, car il faut tout inventer ! Nous devons rassembler les acteurs du réemploi et unir les compétences de chacun pour mettre en place un nouveau process de conception et fabrication. Depuis janvier 2019, R-Use fait partie du collectif Re-Store. Celui-ci rassemble justement des architectes, ingénieurs, designers, artisans et makers. Notre objectif est de créer des solutions constructives à base de matériaux issus de la déconstruction. Une de nos premières expérimentations est le Dalouret, un projet de design de tabouret à partir de dalles de faux plafond. Le collectif travaille également sur la mise en place d’une filière de bois de réemploi et se trouve impliqué dans plusieurs opérations de design et fabrication d’aménagements intérieurs et extérieurs en Île-de-France.
► Entretien paru dans Ecologik 63 : Reconvertir, réhabiliter et muter