Fabrice Bonnifet
Directeur Développement Durable et Qualité, Sécurité, Environnement Groupe Bouygues
Depuis combien de temps le groupe Bouygues s'intéresse-t-il au réemploi et pour quelles raisons ?
D'un métier à l'autre, c'est très variable. Chez Colas -un industriel de la construction et de l'entretien des infrastructures de transport -, le recyclage et le réemploi des matières premières sont déjà pratiqués. Il se situe aujourd'hui autour de 15 %.
Néanmoins, certains pays atteignent 100 % de matières premières recyclées ou réemployées. Le problème, en France, est que nous sommes assujettis à des réglementations lourdes et nous ne sommes pas décisionnaires du taux de réemploi. C'est le client qui statue sur l'utilisation des matières premières secondaires dans son projet, et cela reste très variable d'une maîtrise d'ouvrage à l'autre.
Comment le mettez-vous en place dans les métiers et vos différentes filières ?
Nous sommes sur des professions très réglementées. Dans le cadre des marchés publics, si des clients ne souhaitent pas de matières premières réutilisées, nous avons alors l'obligation de recourir au neuf.
Concernant l'entreprise Colas, nous sommes en attente d'une loi qui fixe un cadre plus ambitieux, comme c'est le cas par exemple en Belgique, aux Pays-Bas ou aux États-Unis, pour, à terme, être en mesure, comme eux, de construire des routes 100 % recyclées. Aujourd'hui, il n'existe aucun frein technique et nous sommes capables de faire aussi bien avec des matières premières secondaires.
Néanmoins, un frein juridique et une mauvaise perception du réemploi sont présents au sein des maîtrises d'ouvrage, qui considèrent, à tort, que les matières premières secondaires sont de moins bonne qualité.
S'agissant de Bouygues Construction, la mécanique se met en place, mais nous sommes confrontés à ces mêmes obstacles.
Sur la partie recyclage, les matières premières issues de la déconstruction des bâtiments - c'est-à-dire les pondéreux, comme le béton concassé, par exemple sont quasiment toutes recyclées en sous couche routière. En revanche, sur les produits finis - c'est-à-dire les huisseries, les portes, les câbles, etc. -, les normes de performance énergétique ayant beaucoup évolué ces dernières années, il est difficile de réutiliser ces éléments dans des constructions neuves, car les règlements techniques changent en permanence.
Néanmoins, nous essayons de trouver des solutions afin que certains produits finis puissent avoir une seconde, voire une troisième vie. Dans cette perspective, nous nous battons pour que ces éléments ne soient plus considérés en statut de « déchets », car, endroit français, il est interdit de revendre un déchet. Nous espérons que la loi votée enfin d'année prendra en compte ces aspects et encouragera l'économie circulaire. Sur la gestion des terres de chantier, nous essayons de même de travailler à leur recyclage dans le but d'éviter l'enfouissement automatique. Dans les métiers de la téléphonie, nous récupérons les mobiles des clients via une société partenaire, Recommerce Solutions, et nous vendons également des mobiles de seconde main, ce qui multiplie par trois la durée de vie du téléphone. Tous les smartphones peuvent être déposés chez les opérateurs, qui, en échange, donnent un avoir de façon à éviter que les mobiles soient stockés dans un tiroir. Rien qu'en France, on estime à plus de 100 millions le nombre de mobiles immobilisés chez les particuliers, alors que l'on pourrait valoriser cette matière première pour l'industrie.
Pensez-vous que ce soit un secteur d'avenir ?
Les sociétés qui se spécialiseront dans le réemploi gagneront de l'argent et créeront des emplois non délocalisés. Ce marché de la seconde main est émergent et commence à bien fonctionner, il convient de laisser le temps aux filières de se mettre en place. C'est la mission des pouvoirs publics de le faciliter.
Concernant la construction, le réemploi peut être promis à un grand avenir à condition que les clients et les collectivités territoriales deviennent prescripteurs de matières premières secondaires. Notre rôle est de proposer cette possibilité et de sensibiliser le client à l'usage des matériaux de réemploi, qui ne sont pas des sous-produits, et sont d'aussi bonne, voire de meilleure qualité que des matériaux neufs, et moins chers en coût global.
Que faudrait-il développer encore pour rendre la filière plus performante ?
Un gros travail de sensibilisation est à faire afin que les professionnels et le grand public voient dans le réemploi non plus de « l'occasion », mais un nouvel usage ou un usage prolongé d'une matière première. Dans tous les métiers, nous nous sommes dotés d'une politique ambitieuse dans l'économie circulaire, et nous espérons vraiment que la régulation aille dans ce sens également. Nous sommes des constructeurs mais aussi des dé-constructeurs, et nous nous retrouvons aujourd'hui avec beaucoup de matières premières non valorisées qui nous coûtent à enfouir ou recycler. Nous n'avons pas d'intérêts à ce que l'économie linéaire persiste, notamment parce que l'accès aux matériaux et aux ressources va devenir de plus en plus compliqué. Nous avons, tous, avantage à aller vers une politique d'économie circulaire, et la véritable économie, circulaire, c'est le réemploi.
► Retrouvez l'ensemble des paroles d'acteurs dans Ecologik 63 : Reconvertir, réhabiliter et muter actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne