Guillaume Morel-Chevillet
Responsable «végétal urbain » chez ASTREDHOR, l’Institut technique de l’horticulture
Selon vous, l’agriculture a-t-elle un avenir en ville?
L’autosuffisance alimentaire urbaine est utopique. Toutes les simulations réalisées ont montré que l’autonomie ne concerne que certaines gammes de fruits et légumes, comme les laitues par exemple, et ne peut exister que dans un contexte particulier – production massive et étendue en dehors de la ville –, hors céréales et viandes. Néanmoins, l’agriculture urbaine joue un rôle essentiel de sensibilisation du citadin à son environnement, à la qualité de ce qu’il mange ; elle favorise l’envie de consommer local. L’objectif, d’après moi, n’est pas de nourrir les villes, mais plutôt de rendre accessibles à la population le monde agricole et ses métiers précieux, qui ont été malmenés par l’urbanisation. L’agriculture urbaine repose sur des micro-parcelles et un modèle économique stabilisé est complexe à obtenir. Cela demande des techniques de production très fines et, pour que l’agriculture urbaine soit viable, elle doit s’appuyer soit une multiplicité de sites mutualisés, soit sur d’autres sources de revenus, issues, entre autres, de la sensibilisation sociale ou pédagogique. L’économie de l’agriculture urbaine professionnelle reste pour l’instant fragile. Les producteurs et les agriculteurs qui se lancent dans le modèle sont des pionniers, et beaucoup, malheureusement, ne subsistent pas. En dessous de 1 à 2 hectares d’exploitation, dégager des revenus suffisants est difficile. Cependant, certains réussissent en développant notamment des stratégies de commercialisation, en produisant en périphérie et en vendant à des prix plus élevés en centre-ville, soutenant ainsi le modèle. C’est donc plutôt comme levier inclusif qu’elle doit s’envisager. Il est indispensable que l’agriculture urbaine soit utilisée en intelligence de projet, en aidant à la fabrication du paysage, à la sensibilisation et à l’information pédagogiques, à l’insertion professionnelle, à la culture environnementale, etc.
Et la permaculture, dans tout cela ?
La permaculture fait partie du « bon sens paysan » : comprendre son écosystème, avoir une vision intelligente du site et s’y adapter le plus efficacement possible. Dans cette philosophie, beaucoup de projets en cours peuvent prétendre relever de la permaculture : recyclage des déchets, récupération des énergies ou de l’eau, implication des acteurs locaux, etc. Selon le site, l’agriculture urbaine peut s’établir hors-sol, comme sur des toitures qui demandent très peu de portance, avec des cultures très adaptées, un recyclage des eaux de terrasses, et ainsi être proche de ce que l’on voit en permaculture. Les french farmers, ces maraîchers de la couronne parisienne du XIXe siècle, nous ont beaucoup enseigné : le fumier de cheval, la culture sous cloche, par exemple, qui sont des techniques que nos ancêtres maîtrisaient parfaitement et dont Eliot Coleman, ou encore le Québécois Jean-Martin Fortier, se sont inspirés pour leurs microfermes. Ce courant de technicité revient au cœur des mouvements des agriculteurs urbains. Une des limites des fermes urbaines est toutefois le risque de privatisation de l’espace public. Certaines d’entre elles proposent un accès limité, restreint, voire payant, et si l’on commence à remplacer des parcs publics, des jardins ou des squares par des fermes urbaines, une réglementation quant à leur ouverture et les services rendus sera inévitable, un peu à la manière des fermes pédagogiques, et ce pour qu’elles soient ouvertes à tous.
L’agriculture urbaine prend place sur des espaces privés, comme les toitures. Est-ce pour vous une démarche pérenne ?
La toiture est propice à l’imaginaire. Elle est visible, ouvre sur des panoramas étendus. Un des projets les plus connus est la Brooklyn Grange Farm, à New York, qui pratique la culture organique sur substrat depuis 2010. C’est une des rares fermes où il faut payer pour visiter. Le contraste avec l’environnement bouillonnant de la cité et le panorama qu’elle offre sur New York ajoutent à l’attractivité du lieu. Le bénéfice résultant des visites soutient une partie du chiffre d’affaires de cette ferme atypique. Pour que des projets d’agriculture urbaine puissent perdurer dans ces conditions, il faut des toitures particulières afin que l’épaisseur de substrat soit suffisante, ou bien des systèmes de production verticaux relativement légers. Une toiture lourde n’est pas nécessaire, mais du volume et une belle superficie – au moins 500 mètres carrés – sont requis, ce qui reste malgré tout rare en ville. Comme dit précédemment, si un même exploitant multiplie les toitures, cela peut être viable économiquement, comme c’est le cas par exemple de Topager, Sous les fraises, ou encore Veni Verdi.
Qu’apporte pour vous l’agriculture urbaine à la ville ?
Plus qu’un rôle nourricier, elle est utile aux niveaux social et humain ; elle fait appel aussi à l’imaginaire et remet au goût du jour les métiers et les producteurs locaux, comme le mouvement slow flower, qui renoue avec les pépiniéristes et les filières horticoles locales. Néanmoins, un projet d’agriculture urbaine aboutira uniquement si les professionnels de ces métiers sont intégrés dès sa conception. Une large partie d’entre eux sont aujourd’hui fédérés via l’Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle (AFAUP). Leur implication est primordiale dès l’étape des appels d’offres et des concours. Si l’on dimensionne des projets architecturaux sans savoir qui va les entretenir et les gérer, ils ont peu de chances de prendre forme...
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