L’urbanisation chinoise promue avec les réformes économiques de Deng Xiaoping a eu pour corollaire l’amélioration des conditions de vie d’une majorité de la population, qui a doublé en cinquante ans en dépit du contrôle des naissances, strictement appliqué dès 1979 puis assoupli ces dernières années. Ce sont les campagnes qui ont supporté cette augmentation, alors que l’accès au travail et au logement dans les métropoles était régenté par le biais des cartes de résidence : les hukou. Dans un pays où la ruralité avait été encouragée par Mao, les urbains ne représentaient que 37 % de la population au début des années 2000, mais déjà 53 % en 20131. Le devenir des territoires agrestes est une question d’actualité que quelques urbanistes et architectes posent avec de plus en plus d’acuité.
L'histoire amère de l'école de Maosi
Mu Jun, professeur à l’université de Xi’an, est un architecte passionné qui collabore avec le laboratoire Craterre et mène de multiples projets autour des cultures constructives : recherches sur l’habitat en terre ; manuel pour la reconstruction après le séisme de 2008 ; école de Maosi2, un village pauvre du Gansu, province située à plus de 500 kilomètres de Xi’an. L’établissement comprenant une dizaine de classes est une belle construction en pisé, bien orientée, implantée sur les hauts plateaux de loess. Sous le soleil d’altitude, les photos montrent des volumes aux couleurs chaudes, des ombres claires, des enfants rayonnants devant le bâtiment neuf. Rien de commun avec les mornes édifices en béton qui émaillent les villages, souvent glacials l’hiver et manquant cruellement de lumière. Mu Jun, alors doctorant à la Chinese University of Hong Kong, avait bénéficié de l’appui des professeurs et donateurs avec lesquels ce programme a été mené. En 2008, son travail a été reconnu et primé au Festival mondial d’architecture de Barcelone (waf). Hélas, le concepteur souligne l’impermanence de ses projets : l’école de Maosi a été abandonnée à cause du plan national de regroupement des villages dans des agglomérations de plus grande taille.
Décloisonnement des régions
Le regroupement des villages est à mettre en perspective avec le désir de modernité et d’ascension sociale ainsi que l’effort incroyable pour la construction d’infrastructures sur tout le territoire. Autoroutes, voies ferrées et aéroports ont décloisonné des régions restées enclavées et les ont ouvertes vers l’extérieur alors que la Chine adhérait en 2001 à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Un effet renforcé par l’accès aux téléphones portables et aux smartphones. Dans les campagnes, publicités pour la 4G et pour les engrais se côtoient. À la suite du tremblement de terre au Sichuan, la priorité au relogement des populations a donné le ton : reconstruire les routes, ériger des immeubles d’habitation pour les familles et ouvrir de nouvelles écoles et services pour que la vie reprenne au plus vite. Des édifices de quatre à cinq niveaux se sont substitués aux maisons isolées. Or les éboulements de terrain signifiaient aussi la perte des moyens de subsistance des paysans, mais la réponse apportée n’intégrait pas cette rupture brutale des sols et du mode de vie. Fournir un toit primait. Pourtant, la qualité d’entretien des territoires est liée au travail des ruraux : il n’y a pas de paysage sans paysans. Deux logiques s’affrontent et se confrontent autour de la rareté des sols arables dans ce pays qui compte 21 % de la population mondiale, mais dispose seulement de 8,5 % des terres cultivables de la planète3. Quelques poignées d’architectes et urbanistes s’efforcent d’apporter des réponses à un autre problème : les regroupements des villageois entraînant l’abandon de tout un patrimoine. Menacés par les déplacements de populations, ces biens d’une richesse et d’une vitalité peu communes dans les territoires ruraux se déclinent dans les pratiques spontanées de chants, de musiques et de théâtre avec des marionnettes vivantes, ou plus largement dans le savoir-faire artisanal et la pratique combinée de plusieurs cultures sur une parcelle : riz, élevage de canards, pisciculture. Qu’en restera-t-il quand les villages, les lieux et l’histoire des habitants, qui s’imbriquent et se nourrissent mutuellement, auront disparu ?
Autres modes de développement des territoires ?
Fervents connaisseurs de cette richesse culturelle, les architectes Wang Shu et Lu Wenyu ont lancé en 2014, avec le Bureau de la construction de la province du Zhejiang, un concours ouvert à tous. Les étudiants du département d’architecture de la China Academy of Art y ont participé, l’occasion pour ces jeunes, en majorité citadins, de connaître les conditions de vie rurale aux côtés d’écoles étrangères, comme l’ENSA Paris-Malaquais, dont deux équipes ont été primées et une troisième mentionnée. Un promoteur immobilier s’est ainsi reconverti dans l’aménagement d’un site agricole et touristique « bio », où les matériaux employés pour les bâtiments de la ferme sont mis en œuvre par des artisans locaux : toiture en roseaux et murs de pierre. Ces programmes sont mis en place par des intellectuels passionnés par l’esprit développé par Georges-Henri Rivière dans sa conception d’un écomusée comme lieu conservatoire, site d’expérimentation et de transmission, développé avec et pour les habitants. Un changement de paradigme se fait jour : la modernité n’est pas tant celle de la mobilité et de la vitesse des flux que celle qui mise sur la qualité de vie dans des lieux désormais connectés au monde. Minoritaires, ces recherches de nouvelles voies de développement sont d’autant plus urgentes et nécessaires que l’objectif national est d’atteindre 75 % d’urbains en 2050, un taux proche de celui des pays les plus industrialisés. Le nombre de citadins a ainsi quadruplé entre 1978 et 2013, passant de 172 à 731 millions de personnes, selon trois processus : la requalification des populations rurales en populations urbaines compte pour 15,5 %, du fait de l’expansion des zones administratives des agglomérations, la croissance naturelle pour 12,7 % et la part des migrations pour environ 70 %5. Ce sont les métropoles les plus peuplées qui ont attiré le plus de monde, alors que l’urbanisation qui se poursuit vise désormais les villes secondaires et la campagne environnante, où la sensibilisation et l’éducation ont un rôle déterminant. Après les destructions d’ampleur que les villes chinoises ont connues ces deux dernières décennies, ce sont donc les campagnes, où l’économie circulaire et les richesses culturelles sont restées vivantes, qui sont désormais menacées. Un phénomène qui se propagera d’autant plus rapidement avec l’abandon des écoles et des hôpitaux ruraux, au profit de nouvelles agglomérations.
1. Bulletin économique Chine, n°64, mars 2014, www.ambafrance-cn.org/L-urbanisation-en-Chine-continentale
2. www.architectural-review.com/buildings/ecological-demonstrationprimary-school-by-the-chinese-university-of-hong-kong-maosi-gansuprovince-china/8600319.article
3. Centre d’étude et de prospective du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, n°24, 2010.
4. Coopération entre la direction générale des patrimoines, la Cité de l’architecture et du patrimoine avec l’université Tongji et le World Heritage Institute of Training and Research (Asia-Pacific), www.alainmarinos.net, onglet : coopération France-Chine.
5. Bulletin économique Chine, n°64 ; chiffres fournis pour la période 1970-2010.