D’hier à demain
En 1101, Robert d’Arbrissel, Bob1 pour les intimes, fervent croyant et prédicateur enflammé, fondait l’ordre de Fontevraud, exclusivement dirigé par des femmes – ce qui a décoiffé plus d’une tonsure à l’époque ! L’abbaye s’inscrit ainsi très tôt dans la modernité. Aujourd’hui, ses 120 employés comptent bien perpétuer cette tradition avant-gardiste, par l’intégration d’outils numériques et le renouvellement perpétuel de sa programmation, de la scénographie et de l’accessibilité pour tous, tant du point de vue du fond que de la forme. Ainsi, se rendre à Fontevraud, c’est un peu comme mettre un pied dans le passé et un autre dans le futur.
Par-delà les barreaux
Jusqu’à sa chute au xviiie siècle, l’ordre fontevriste bénéficie d’une aura et de territoires qui dépassent les frontières du Poitou, de l’Anjou et de la Touraine… mais la Révolution fait son œuvre. Pour empêcher que la totalité de cet ensemble de 13 hectares ne subisse le même sort qu’un de ses quatre prieurés, dont les pierres ont été vendues, l’enceinte ôte son habit monastique et devient un centre pénitencier en 1804. Les derniers prisonniers quittent l’abbaye en 1985, au profit du centre culturel de l’Ouest, créé par la région Pays-de-la-Loire. Le prieuré Saint-Lazare est alors reconverti en hôtel-restaurant 2 étoiles dont l’agence Jouin-Manku a aujourd’hui fait table rase.
L’habit ne fait pas le moine
En réponse à l’interdiction des Monuments historiques de toucher aux murs et plafonds existants, Patrick Jouin et Sanjit Manku sont ici venus « se glisser sans effraction », comme ils le confessent. Tel un habit couvrant humblement les murs en tuffeau mis à nu, leur intervention pourra être ôtée sans que le patrimoine en soit altéré. Suivant leur adage, le duo aménage un restaurant de 88 couverts entre les arcades du cloître et de la salle capitulaire. Le chef Thibault Ruggeri, élu Bocuse d’or Monde en 2013, y propose des mets préparés avec des produits locaux, en partie issus des ruches et du potager de 2 hectares de l’abbaye, ayant également fonction de chantier de réinsertion. Mais avant de savourer une cuisine de haut vol, les convives sont invités à transiter par l’iBar, comptoir high-tech avec tables tactiles situé dans l’ancienne église. Aux chants des moniales a succédé l’appel des fines bulles du Saumurois.
Réunion
Sous les voûtes d’ogive du réfectoire, l’agence Jouin-Manku rend une nouvelle fois hommage à l’histoire du lieu avec un mobilier dont chaque pièce est conçue comme une « microarchitecture ». Quatre-vingt-six couverts peuvent ici être dressés grâce à une longue table en chêne massif, habillée de 130 cierges à led, et aux tables et chaises pliables dissimulées en périphérie de la salle, telles les stalles d’une église. Aux murs, les quatre triptyques sont également un clin d’œil au passé religieux mais aussi à l’art de la broderie pratiqué autrefois par les sœurs.
Le diable se cache dans les détails
Dans les 54 chambres de l’hôtel 4 étoiles réparties dans le bâti du XIIe siècle, son extension du xixe siècle et son annexe en duplex baptisée Pavillon du Liban, aucun détail n’a échappé aux designers. Des patères aux têtes de lit inspirées des bures monacales, ils ont tout dessiné en étroite collaboration avec des entreprises locales – jusqu’à faire appel à l’une des dernières savonneries artisanales françaises bannissant les produits chimiques. Le luxe dans la qualité et le dénuement, à l’image de la vie monastique. À tous ceux qui veulent s’y perdre ou s’y retrouver, courez vite à Fontevraud !
Œuvre totale
Au-delà de l’hôtel-restaurant du prieuré Saint-Lazare, où la climatisation n’a pas sa place⃰, le projet de rénovation de l’abbaye s’inscrit dans la dynamique plus globale de « Fontevraud, cité durable », visant à réduire les consommations énergétiques et émissions de gaz à effet de serre de cette vaste structure d’accueil de 150 000 mètres carrés de surface de planchers. À l’ouest du site, en lieu et place d’un ancien remblai – plus facile à excaver que la pierre de tuffeau –, l’architecte du patrimoine Yves Grémont a installé en à peine douze mois une chaufferie bois de plus de 2 000 mètres carrés. « Le premier bâtiment construit depuis un siècle à Fontevraud ! » souligne Olivier Châble, chargé des relations presse de l’établissement. Utilisation des ressources locales, rénovation thermique, lutte contre le suremballage, recours au compost et même utilisation de la « fontevr-eau »… La nouvelle abbaye est une œuvre d’art totale. Après tout, la devise ne dit-elle pas « Fontevraud, l’émotion est dans l’inattendu » ?
1. Les « billets d’humeur de Bob » sont à retrouver dans la revue Fontevraud, le magazine disponible à l’abbaye.
2. En cas de fortes chaleurs, le personnel passe ouvrir les fenêtres des chambres inoccupées durant les heures les plus fraîches, et ferme ensuite les volets intérieurs pour éviter que la température intérieure ne grimpe durant la journée.