Rédigé par Marie-Anick Rantos | Publié le 27/01/2016
Avec 27 des 1 030 immeubles insalubres recensés dans la capitale, l’aménagement de l’îlot Fréquel-Fontarabie entame en 2001 la dernière étape de la vaste opération de rénovation de la zac Réunion. Dans le cadre de son plan d’éradication de l’habitat indigne, Paris confie cette mission à la SIEMP1, qui désigne en 2003 Eva Samuel comme architecte-coordonnateur du programme. Des ateliers d’urbanisme participatifs sont alors mis en place. Après la signature d’une charte de développement durable avec Terre-Eco, agence d’accompagnement à la maîtrise d’ouvrage pour l’environnement, les études démarrent en 2005 et le permis de lotir est délivré à l’aménageur-constructeur en 2007. Inaugurée le 13 juin 2015, l’opération a nécessité une douzaine d’années pour aboutir à la livraison de 109 logements sociaux (74 neufs et 35 réhabilités) et d’équipements publics conçus par sept agences. De nouveaux bâtiments signés Pascal Gontier, Babled-Nouvet-Reynaud et LAN architecture y côtoient une rénovation avec extension par le studio BOB361, la création d’une crèche par Avenier & Cornejo, et des réhabilitations par Truelle architectes et Équateur. Gravitant autour d’une place et d’un jardin via des cheminements piétons, ces réalisations composent un morceau de ville diversifié, rendu aux riverains après un processus pionnier et exemplaire.
Des vides constructifs
L’hectare à aménager, où vivent alors quelque 300 habitants, est circonscrit par les rues Réunion, Fontarabie, Fréquel, Vitruve et Orteaux. C’est un lieu « mikado », une juxtaposition-superposition de strates urbaines hétéroclites mêlant petites maisons et ateliers insalubres, avec des friches industrielles en cœur d’îlot dont le sol a été dépollué. Hauts immeubles et bâtiments faubouriens caractérisent ce secteur populaire complexe, qui s’étend en pente douce au sud-est du cimetière du Père-Lachaise. Avant la mission attribuée à la SIEMP, la première intention de la Ville était de tout démolir : sept tours devaient envahir la colline jusqu’au boulevard de Charonne ! Mais les résidents luttent contre cette densification et veulent conserver les empreintes marquantes des parcelles. En concertation avec eux, l’architecte-urbaniste Eva Samuel lance une idée fédératrice : « Dans le cadre des ateliers participatifs, le premier geste a été de proposer de pérenniser l’espace non construit et d’en faire un jardin accessible au plus grand nombre. » Les édifices s’articulent ainsi autour du vide central, et les passages publics qui traversent l’îlot facilitent son appropriation par tous les habitants du secteur. Les échelles et les orientations sont déterminées par le tissu existant : alignements et gabarits respectés, confortation de la variété des hauteurs, pignons d’angles habillés par les nouvelles constructions.
Préconisations détaillées
Si l’intervention consiste fondamentalement dans l’éradication de l’insalubrité, une offre d’habitations aux normes et la mise en place d’équipements publics de qualité, elle répond aussi à des ambitions de durabilité remarquables. Des cahiers prescriptifs déterminent les démarches à appliquer, proscrivent certaines mesures et proposent des solutions pensées de l’échelle urbaine au détail. Pas de règles strictes, mais des indications très directives, notamment pour la maîtrise des impacts sur l’environnement et la réduction des coûts de fonctionnement. Les espaces extérieurs doivent ainsi être cohérents avec le passé et la topographie du lieu pour des ambiances douces et plurielles. Quant à l’approche bioclimatique, elle est incontournable : enveloppes performantes, sobriété énergétique, ressources renouvelables, éclairage naturel, système de ventilation optimal… le tout devant être guidé par le bon sens plutôt que par une performance normative. « Cet ensemble de préconisations exemplaires a permis de mettre en route le plan Climat-énergie de Paris2 », précise Florence de Massol, adjointe à la maire du 20e arrondissement. Adopté en 2007, ce programme s’enrichit progressivement du retour d’expérience de projets pilotes innovants, dont le quartier Fréquel-Fontarabie.
Gouvernance et concertation
C’est ici que le premier immeuble passif de la capitale a été livré en 2010, à l’angle de la rue Vitruve et du passage Fréquel. Le bâtiment conçu par Pascal Gontier joue sur tous les facteurs pour compenser l’orientation au nord de la parcelle. Il offre de grandes ouvertures à des appartements tous traversants pour une lumière naturelle maximale, tout en permettant une extrême sobriété énergétique : isolation par l’extérieur performante, triple vitrage à l’argon, ventilation double flux, puits francilien hydraulique. Réhabilitations et constructions neuves intègrent ici les multiples paramètres à prendre en compte pour construire un écoquartier3, répondant ainsi à la définition du ministère de l’Écologie : « Un projet d’aménagement urbain qui respecte les principes du développement durable tout en s’adaptant aux caractéristiques de son territoire. » La variété des écritures, grâce à l’utilisation de matériaux très divers, prolonge la cohérence du lieu sur un tissu urbain renouvelé, résultat d’un travail collectif exceptionnel. Dans un contexte d’échanges et de gestion transversale de tous les acteurs, la SIEMP, Eva Samuel et Terre-Eco ont développé une dynamique fondée sur une forte gouvernance participative, initiée au départ par Fabienne Giboudeaux, alors adjointe au maire de Paris chargée des espaces verts. Habitants mais aussi élus, bailleurs, techniciens territoriaux, associations et services sociaux du quartier ont pu croiser leurs expériences et leurs réflexions au cours de débats qui ont duré un an et demi. Cette méthode de concertation urbaine est adoptée aujourd’hui pour la conception de tous les écoquartiers. Mais le succès de ces morceaux de ville dépend aussi de la sensibilisation indispensable des habitants aux spécificités de leur nouvel habitat, pour une appropriation et un usage vraiment écoresponsable.
1. Société immobilière d’économie mixte de la Ville de Paris, maître d’ouvrage et bailleur social en mission sur 400 immeubles délabrés du nord-est de la capitale dans le cadre du plan d’éradication de l’insalubrité mené par la Ville.
2. www.paris.fr/municipalite/action-municipale/paris-pour-le-climat-2148
3. www.territoires.gouv.fr/les-ecoquartiers