Le paysage de la petite Ceinture est le fruit d’une rencontre entre espace ferroviaire et espace urbain. Intime ou révélée, végétale ou minérale, rythmée par la canopée et les tunnels, elle ménage çà et là des vues surplombantes sur la ville en même temps qu’un espace « en dehors », pourtant bien intégré au tissu urbain. Surtout, elle est aujourd’hui devenue un riche corridor écologique au sein de la métropole, propice à l’exploration et à la flânerie. Construite au milieu du XIXe siècle, cette ancienne ligne de chemin de fer fait le tour de Paris sur 32 kilomètres. Autrefois utilisée pour le transport de marchandises et de voyageurs (plus de 39 millions de voyageurs en 1900, chiffres Ville de Paris 2018), elle a été progressivement désertée par les Parisiens au profit du métro et définitivement fermée au public en 1934, même si quelques trains continuent d’y circuler ponctuellement jusqu’aux années 90. En 2006, la Ville de Paris et Réseau Ferré de France définissent un accord pour aménager certains tronçons de la ligne et ses emprises : au fil des saisons, sentiers nature (16e arrondissement) et jardins partagés (14e et 18e arrondissements) occupent les friches laissées à l’abandon, invitant le public à profiter de nouveaux espaces verts intra-muros. Ces dernières années, la maire de Paris, Anne Hidalgo, poursuit activement la reconquête de la petite Ceinture : un nouveau plan programme, signé en 2016, préconise sa préservation en tant que lieu de biodiversité et de « respiration », favorable aux déplacements doux, à l’agriculture urbaine, aux loisirs et à la découverte du patrimoine. Plusieurs anciennes gares desservies à l’époque accueillent aujourd’hui des projets innovants, comme la REcyclerie, tiers-lieu écoresponsable (18e).
Une reconquête collaborative
Alors que d’autres ouvertures sont annoncées, la Ville a lancé, en 2016, une «fabrique collective » pour imaginer et expérimenter les destinations des sites à réhabiliter, et ce avec la participation des habitants. Le tronçon situé entre l’ancienne gare de Montrouge et la dalle Broussais (14e) a été investi en 2016 par le collectif Les Pipistrelles, animé par l’architecte urbaniste Concetta Sangrigoli (Atelier Nous). « Le site a fait l’objet d’un diagnostic préalable pour en connaître les usages existants et comprendre comment il était perçu par les riverains, et ce qu’ils souhaitaient y réaliser. Même si l’histoire de la petite Ceinture est peu connue, l’endroit ne laisse personne indifférent ! Certains sont intrigués, d’autres rebutés par son ambiance si particulière », explique l’architecte. Le diagnostic montre que la petite Ceinture est fréquentée malgré l’interdiction d’y accéder, et qu’il y règne même une sociabilité particulière, intime. « Nous avons pris conscience que la petite Ceinture, en plus d’offrir une expérience rare de calme et de nature en ville, suscite de la curiosité et stimule les imaginaires. Nous avons alors mis en place des ateliers "attrape-rêves" pour laisser les habitants s’exprimer sur place : les idées et projections formulées – plus de 400 –, souvent étonnantes, nous ont permis de lancer une programmation en collaboration avec des associations impliquées dans le projet », poursuit-elle. Le choix se porte sur des aménagements légers et évolutifs, qui ne dénaturent pas l’esprit du lieu : lors des ateliers de co-construction sont réalisés le « Renard », un hôtel à insectes de 6 mètres de long, ou encore les « Maisons du troglodyte », des nichoirs disposés dans les talus en zone humide. Les rails inspirent des circulations alternatives, comme le vélo-rail, et parmi les activités proposées figurent du théâtre, du yoga, de l’escalade et du jardinage.
Une fracture à résorber
« En 2019, nous avons travaillé sur l’animation d’un autre tronçon de la petite Ceinture, plus problématique, dans le 17e arrondissement. Ici, squat et dépôt de déchets avaient envahi les rails. Néanmoins, nous avons pu organiser des ateliers de formation à la technique de la pierre sèche afin que les habitants participent eux-mêmes à la construction des aménagements du site, qui n’ont par ailleurs subi aucune dégradation », expose Concetta Sangrigoli. « La petite Ceinture, entourant les 20 arrondissements parisiens, contribue aujourd’hui à fractionner le territoire métropolitain. Elle crée une limite psychologique ; pour cela, il est indispensable de la réinvestir pour réconcilier les quartiers qu’elle longe de part et autre. En prêtant de l’attention à ce qui se trouve "au-delà", on peut véritablement créer une continuité d’usages », conclut-elle. À l’horizon 2020, 10 kilomètres au total auront été réhabilités, rendus aux (Grands) Parisiens en vue de se les réapproprier ; soit l’équivalent d’une superficie totale de 16 hectares d’espaces verts, préservés dans leur identité de balade sauvage et d’architecture patrimoniale de la ville.
⇒ Lire l'article Le Grand Paris en voie de transformation
⇒ Lire l'article L'avenir vert de nos boulevards