Jacqueline Osty
Paysagiste, Grand Prix national du paysage 2018
Que pensez-vous du modèle « écoquartier » ?
Je pense qu'il y a des quartiers mais pas forcément des écoquartiers. Un quartier doit être écologique, c'est une question de bon sens. Aujourd'hui, nous avons tous conscience du réchauffement climatique, et prendre en compte la question environnementale dans l'aménagement des villes me semble évident. Pour cela, il faut avoir une bonne gestion des ressources, faire avec le déjà là, favoriser les circuits courts et le réemploi. C'est une attitude de fond que l'on devrait tous avoir, dans toutes les réalisations. Je préfère le terme d'écocité à celui d'écoquartier. Il prend davantage en compte la dimension globale révélée par le paysage. Alexandre Chemetoff disait : « Le territoire nous donne en héritage les lois de ses transformations ». Cela commence par là ; par se poser la question du site, au-delà de l'environnement et en prenant en compte la dimension culturelle, identitaire du lieu. Faire un quartier, c'est faire au mieux avec la gestion d'un territoire, c'est faire avec des gens qui y habitent ou vont l'habiter. La dimension culturelle du lieu se comprend à travers sa géographie, son histoire, son évolution, ses habitants qui révèlent des aspects essentiels à étudier pour amorcer la transformation. Notre connaissance s'appuie sur le vivant, ce qui nécessite des conditions favorables pour maintenir cette vie dans le milieu choisi. Aussi est-il essentiel de s'appuyer sur le terrain, sur ce qui existe. Ensuite, il faut créer du lien entre les différentes composantes d'un territoire.
Selon vous, à quoi doit ressembler un quartier écologique ?
Les constituants d'un écoquartier qui font partie du cahier des charges n'interviennent qu'une fois la stratégie d'ensemble posée. Avant, il faut appréhender et comprendre le site dans sa globalité. Pour l'île de Nantes (44), par exemple, avec l'architecte Claire Schorter, c'est la Loire que nous avons souhaitée mettre au cœur de notre réflexion comme l'élément de centralité métropolitaine. L'armature paysagère initiée par les urbanistes précédents qui traverse toute l'île d'est en ouest a été renforcée par un système de parcs qui imbriquent des coulisses végétales dans le tissu urbain des futurs quartiers. Dans un deuxième temps, il faut chercher à connaître l'identité du lieu. À Rouen (76), par exemple, nous étions en présence d'une friche industrielle, inscrite dans un site magnifique au bord de la Seine. Nous sommes partis du territoire et nous avons regardé comment le révéler en nous interrogeant sur ce qui fait sens et appartenance. C'est un tissage invisible de vues qu'il faut révéler pour créer des repères visuels. Ces liens permettent des ouvertures sur le paysage, sur le ciel ; ils mettent en relation des éléments physiques et des espaces naturels. En tant que paysagiste, j'ai été influencée par des urbanistes ou paysagistes comme Henri Prost (1874-1959) ou Jean-Claude Nicolas Forestier (1861-1930) qui, à l'époque, dessinaient des villes en créant des armatures urbaines et en s'appuyant sur la topographie et la géographie. C'est dans ce sens que nous avons essayé également d'aborder les projets de Nantes et de Rouen. Le paysagiste intervient beaucoup sur le socle de la ville. Maîtriser l'écoulement de l'eau, par exemple, nécessite la création de points hauts qui peuvent amener à modifier la topographie des sols. Un écoquartier, c'est aussi l'optimisation de tous ces éléments qu'on ne voit pas, autour d'une gestion intelligente et raisonnée. Néanmoins, je constate des paradoxes entre désir et réalité opérationnelle. Par exemple, les élus, comme les citoyens de la participation, sont de plus en plus nombreux à souhaiter de la nature en ville, ce qui est très bien. Mais la nature, c'est du vivant qu'il faut gérer et cela entraîne non seulement un recours aux métiers compétents, mais également des moyens qui ne sont pas toujours bien pris en compte. Ce qui amène à s'interroger sur ce qu'est un quartier durable. Un endroit où l'on parvient à faire cohabiter les différents désirs et dimensions ? Je pense que c'est avant tout une construction progressive, avec une mutation qui doit être accompagnée ; ce qui est complexe quand on est urbaniste, c'est de penser à la ville de demain avec les outils et les usages d'aujourd'hui.
Quels sont les projets que vous avez aimés porter dans ce sens ?
J'ai beaucoup aimé le projet de Clichy-Batignolle, à Paris, sur lequel j'ai accompagné François Grether en charge de l'écoquartier, et pour lequel nous avons imaginé un parc central. Les parcs étant devenus de plus en plus des espaces de rencontre dans la ville. Le square des Batignolles, son voisin, qui date de l'époque haussmannienne, m'avait auparavant inspirée pour un projet de parc au Plessis-Robinson (92). Ce parc de deux hectares accueille une multitude d'usages contemporains dans un cadre paysager de qualité : on y trouve à la fois les archétypes paysagers - la rivière, le lac, les rochers, la grotte, le belvédère, etc. - et une grande mixité d'usages entre les jeux pour les enfants, le terrain de pétanque, les tables de ping-pong, les bancs pour le calme et la contemplation… . Cela m'a donné l'envie de croiser les dimensions paysagères, sources d'émerveillement, avec les usages plus modernes. C'est important de créer des lieux qui suscitent l'imaginaire. C'est ce que j'appelle « la cinquième dimension », c'est-à-dire la façon dont nous allons réussir à faire en sorte que les usagers puissent se projeter dans un autre monde, dans une autre dimension.
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