Rédigé par Dominique Gauzin-Müller | Publié le 03/02/2015
EK : Qu’est-ce qui a changé depuis les premières assises de l’habitat participatif que vous avez organisées à Strasbourg en 2010 ? Bruno Parasote :
Les assises de Strasbourgont donné le coup d’envoi à une organisation très utile à la mutualisation des expériences, le Réseau national des collectivités pour l’habitat participatif, et à la création de la Coordin’action des associations. Fort de ces deux mouvements, le travail dans les territoires a gagné en efficacité et en lisibilité. Plus de dix villes ont ainsi lancé des concours pour attribuer des terrains à l’autopromotion, et engagé des projets à vocation sociale. Cette structuration a également permis de participer activement à la loi alur dans le cadre des ateliers menés par Cécile Duflot, alors ministre du logement.
La capitale alsacienne, qui a lancé dès 2009 un appel à candidature pour dix immeubles en autopromotion, est pionnière en France. Quel est le rôle de l’association Éco-Quartier Strasbourg ?
Notre association a joué un rôle essentiel en nouant sur le long terme un partenariat avec la Ville de Strasbourg. Cela nous a permis de l’accompagner notamment dans ses consultations d’autopromoteurs, en assurant une formation des citoyens candidats. En effet, lancer un projet participatif implique des droits, par exemple une liberté importante dans les choix du projet, mais également des devoirs techniques, juridiques et organisationnels, qui ne sont pas à négliger. Au-delà de formations dispensées tout au long de l’année, Éco-Quartier Strasbourg constitue un espace d’échanges, de mise en relation des candidats à l’autopromotion et de soutien aux groupes en phase de projet.
Quels sont les projets en cours ?
Dans l’agglomération strasbourgeoise, Éco- Logis a été livré en 2010, Greenobyl en 2014 et il y a actuellement 19 immeubles en phase d’études ou de chantier. L’autopromotion classique y côtoie l’habitat participatif à vocation sociale. Le bailleur local Habitat de l’Ill propose ainsi Ecoterra (treize appartements en accession dans un bâtiment avec structure en béton et murs en paille) et Lieu Commun (quatorze logements locatifs). À l’étude également, avec le soutien de ce maître d’ouvrage engagé, du locatif social destiné à des personnes de plus de 55 ans : Cocon3S (Solidaire, Senior, Solo). Ailleurs en France, de nombreuses villes comme Paris, Lille ou Montpellier ont sauté le pas. Cela reste encore marginal, mais ces opérations, souvent appuyées par un Programme local de l’habitat (plh), s’inscrivent dans la durée. Des citoyens et des bailleurs sociaux, comme Aquitanis à Bordeaux, s’emparent également du sujet. L’enjeu est désormais de consolider les projets lancés et de minimiser le taux d’échec, d’environ 50 % aujourd’hui. C’est la condition pour que le mouvement réussisse à devenir une troisième voie, entre le marché traditionnel de la promotion immobilière et la production du logement social institutionnel.
L’approbation de l’article 22 de la loi alur le 20 février 2014 a apporté à l’habitat participatif une reconnaissance officielle, mais quelle est la situation des copropriétés ?
L’organisation des copropriétés et le paiement des charges soulèvent actuellement en France de graves interrogations. Au-delà de l’habitat participatif, l’association Éco- Quartier Strasbourg réfléchit donc à la gestion des immeubles. Il ressort des travaux en cours une tension de plus en plus grande entre les copropriétaires et dans leurs relations avec le syndic. Il faut absolument y remédier et prévenir l’inflation des impayés. Nous sommes persuadés que seule une reprise en main citoyenne de ces sujets permettra de renouer avec un fonctionnement plus vertueux. Trop souvent, chacun se sent consommateur de son logement, de son immeuble, et rechigne à s’impliquer dans son organisation et sa gestion. Il y a un défi culturel à relever : le travail collaboratif entre locataires, propriétaires et syndic.
Quelles avancées peut-on attendre de la nouvelle loi sur la transition énergétique ?
Cette loi fixe des objectifs ambitieux en matière d’économie d’énergie. Il reste à trouver les moyens concrets de les financer et de les mettre en œuvre. La réduction des charges et de la capacité d’investissement des copropriétés nécessiteront inéluctablement de se poser la question de la gouvernance de l’habitat collectif.
De plus en plus de français sont séduits par l’approche participative. Comment les élus peuvent-ils devenir des facilitateurs ?
Les élus jouent à plusieurs titres un rôle capital. Tout d’abord parce que les communes détiennent souvent du foncier qui pourrait être valorisé par des projets d’habitat participatif : dents creuses et délaissés sont autant d’opportunités à saisir. Ensuite, parce que les municipalités maîtrisent les projets d’urbanisme. Certaines, comme Strasbourg, vont jusqu’à systématiser l’habitat participatif dans tous leurs projets urbains. Cela donne de la perspective et inscrit dans le paysage ce mode alternatif. Par ailleurs, les élus délivrent les permis de construire et votent les documents cadres de l’urbanisme et du logement. La reconnaissance de l’autopromotion dans un plh et un plu est essentielle. Cela donne, sur la durée, de la crédibilité et des possibilités d’action, encadrées par une stratégie globale d’innovation sociale et d’élargissement de l’offre immobilière.
Comment se développe l’habitat participatif dans les autres pays d’Europe ?
Il n’existe pas encore de réseau européen de l’habitat participatif, mais des rencontres internationales ont lieu de temps en temps. Il ressort de ces échanges que le sujet se développe de manière très contrastée d’un pays à l’autre. Évidemment, les coopératives suisses et les Baugruppen (groupes d’autopromotion) allemandes font office d’exemples. Mais l’histoire du mouvement social et les prix de l’accession pour la Suisse, ou l’organisation territoriale pour l’Allemagne ne permettent pas de transposer directement ces modèles. Ces pratiques prouvent cependant que l’autopromotion et les coopératives sociales peuvent être des solutions de masse crédibles. Pionnière dans les années 1970, avant de se tourner vers d’autres solutions, la France doit aujourd’hui trouver sa voie pour parvenir à cette maturité. L’habitat participatif n’est pas un sujet marginal, mais un réel outil en faveur du logement pour tous.
Que peuvent faire concrètement les candidats à l’autopromotion ?
Évidemment contacter leur mairie et les réseaux associatifs locaux… mais aussi passer des annonces décrivant leurs intentions. Cela fait souvent écho et de nombreux projets sont issus d’une première intention modeste.