Au milieu coule un fleuve, la Somme, traversant la partie est du territoire. Au nord, les marais dessinent des chenaux qui ouvrent sur l'étang d'Isle, situés en contrebas de la vieille ville et de la basilique, aux sommets acérés. Classés Réserve Naturelle Nationale depuis 1981, ils sont aujourd'hui une Zone de Protection Spéciale (ZPS) pour les oiseaux sauvages, comme le martin-pêcheur, le grèbe huppé, le canard colvert ou encore le bruant. Ces marais, constitués de roselières et de boisements humides, contribuent à enrichir la biodiversité du territoire tout en offrant un cadre de nature exceptionnel dans un environnement urbain.
Ils sont traversés par le canal de Saint-Quentin, qui assure la jonction entre l'oise, la Somme, l'Escaut et met en relation le Bassin parisien, le nord de la France et la Belgique, la Somme poursuivant son chemin vers l'ouest. Tantôt souterraine, tantôt ouverte, elle suit le parcours du canal, qui devient la colonne vertébrale le long de laquelle se déroule un paysage entre nature et ville.
Mise en valeur des patrimoines
Dans les années 2010, la ville de Saint-Quentin lance un vaste programme de reconquête du quai Gayant, dont le nom vient de l'ingénieur Antoine-Nicolas Gayant (1756-1834), qui a repris les travaux du canal de Saint-Quentin en 1802 avant son ouverture à la navigation, quelques années plus tard, en 1810. Actuellement, la rive gauche de la ville est occupée par des lignes ferroviaires et un vaste parking de macadam, accueillant régulièrement des foires et événements divers. La gare, mise en service en 1850, était d'abord en bois. Bombardée en 1870 par les Allemands, elle est reconstruite en brique. Un incendie en 1921 lui vaudra d'être rénovée en 1926 par les architectes Gustave Umbdenstock et Urbain Cassan, avec un style Art déco dû au maître verrier Auguste Labouret. Cette histoire, marquée par les aléas, est à l'origine d'un classement des façades, de la toiture, ainsi que du buffet de la gare, inscrits au titre des monuments historiques depuis 2003.
La gare est séparée du reste de la ville par un pont routier, le pont de l'Isle, en béton armé, datant de 1929. Il met en avant, à travers deux tours-lanternes de 25 mètres de haut et des bas-reliefs en bronze, les quatre cours d'eau (la Seine, l'oise, l'Escaut et la Somme), reliés par le canal. Néanmoins et jusqu'alors, ce patrimoine ancien ne se trouvait pas mis en valeur, engoncé au milieu d'un vaste parking dont la fonction ne servait qu'à l'accueil des véhicules. Un nivellement en contre-pente venait couper la perspective sur le paysage et n'offrait à l'usager qu'un spectacle minéral agrémenté des tôles colorées des voitures. Le parvis de la gare n'était, en outre, qu'un espace où l'on déposait, récupérait, stationnait ; une zone de transit, de passage et non de rencontres.
À l'intersection entre la Réserve Naturelle d'un côté, l'étang d'Isle et sa plage, les rives du quai Gayant et le Monument aux Morts de l'autre, l'intégralité de ces patrimoines exceptionnels naturels, paysagers, bâti et historique, nécessitait d'être regardé et valorisé.
Porte d'entrée sur le centre ancien, la place du Huit-octobre, la basilique et le Musée des papillons, la gare est la première prise de contact du voyageur avec le territoire inconnu. C'est le lieu de rencontres, de découvertes ; le lieu qui invite le passager à s'aventurer dans le dédale d'une ville ou, au contraire, le rebute et annonce dès lors la couleur du séjour. « Très vite, nous avons proposé de libérer la partie frontale de la gare pour créer le lien avec la ville. Il y a eu beaucoup de résistance au départ, notamment pour préserver le stationnement des usagers. Nous avons fini par trouver un point d'équilibre et la voiture a été déportée sur des parkings résiduels, contre les voies de chemin de fer, de part et d'autre du parvis », raconte l'architecte Jean-François Authier, associé fondateur de l'agence SAA Architectes et maître d'œuvre du projet.
L'étape suivante a été de mettre en relation le parvis de sortie, l'entrée de ville avec le reste de Saint-Quentin, et de restructurer le pôle gare dans sa globalité. « Nous avons expliqué à la maîtrise d'ouvrage qu'il était important de tenir une épaisseur de paysage qui longe l'ensemble du canal, rejoigne les marais, liant ainsi la promenade au panorama », relate Sophie Boichat-Lora, paysagiste et fondatrice de l'Atelier Format Paysage.
Faire le lien avec la nature et l'histoire
Le travail de végétalisation s'est fait en cohérence avec les écosystèmes en rive, de terrain humide, afin de donner une ambiance naturelle et respectueuse de la biodiversité locale. « Au départ, la demande de la ville était d'avoir des plantations très horticoles, ajoute Sophie Boichat-Lora. Nous avons, au contraire, travaillé la palette végétale pour obtenir des atmosphères similaires à celles que l'on trouve dans les marais, en cherchant à faire déborder les espaces naturels sur le parvis de la gare et ses abords. » Les essences mises en place sont des plantes de bord d'eau : des peupliers blancs, le saule blanc, le chêne palustre, les grandes graminées et des sujets fleuris afin de ponctuer les rythmes de vue, comme les merisiers ou les pommiers à fleurs.
« L'objectif était d'être en connexion avec le paysage environnant, en travaillant sur un panorama englobant le marais, les berges du quai, et de tirer la végétation des rives sur le projet pour l'englober dans le paysage », complète Sophie Boichat-Lora.
« Nous avons également œuvré sur les plantations basses en nous inspirant des motifs Art déco et de la mosaïque présents sur le buffet de la gare, avec une structure en succession de lignes. » Trois types de lignes sont plantées : légères composées de grandes graminées à l'aspect peigné, souples avec des arbustes au port libre et un développement plus important, et des lignes immobiles d'arbustes taillés, comme la charmille, qui viennent structurer les bords de pelouse et les espaces de jardin plus travaillés. Le liquidambar existant a été pris en compte comme patrimoine paysager remarquable et mis en valeur dans le dessin du paysagiste afin de l'élever en point de repère et patrimoine naturel visible au cœur du site.
Lancé en 2015, l'aménagement s'est terminé en 2016. Trois ans plus tard, le paysage naît et le parc prend forme dans une abondance de végétal, créé avec le contexte naturel, tout en restant dans une polarité urbaine importante. « Le projet de plantation a très bien fonctionné et nous avons réussi à construire un site avec la nature. L'entreprise Tayon a été en charge de la réalisation et a extrêmement bien exécuté le projet, en plantant dans les règles de l'art, avec une terre de qualité et en assurant un entretien soigné », précise Sophie Boichat-Lora.
Révéler l'existant
L'ensemble de la mission a consisté à dévoiler le potentiel des lieux, à libérer les points de vue sur l'horizon en jouant sur les plantes, leur dessin, la topographie afin de donner à voir le paysage de Saint-Quentin. « Nous avons cherché à évoquer le passé historique. C'est un hommage discret à la courbure des volutes des années 1930, qui donne de la sensualité et de la poésie à l'ensemble », décrit Jean-François Authier.
Le soir venu, la nuit tombée, la lumière colorée des lampadaires discrètement essaimés apporte une atmosphère onirique aux lieux traversés. Conviviale, apaisante, l'entrée sur la ville par cet espace public est une bouffée d'air, une véritable respiration pour le voyageur quittant le train ; un sas de décompression avant l'arrivée en ville. Ce site est devenu non plus une aire de transit, mais un véritable lieu de rencontres, de promenades, d'attente et de contemplation. Une gare-parc qui fait le lien entre nature, biodiversité, culture et usages, où les voyageurs peuvent s'arrêter, prendre un moment sur un banc ; laisser les enfants jouer, courir, avant un long trajet en train.
« L'essentiel, c'est l'usage. Il faut que les gens s'approprient les espaces et apprécient d'être là », résume l'architecte.
Entre ville et campagne, l'aménagement paysager du parvis plonge l'usager dans un cheminement qui ouvre à l'histoire des patrimoines de Saint-Quentin, où l'envie est à la fois d'y rester pour la détente et la qualité de l'instant, et de parcourir la ville à la recherche de l'histoire inattendue.
► Article paru dans Ecologik 62 : En France, le biosourcé prend racine