© Jean-Marc Pettina
Propos de Frank Hovorka, Directeur de la stratégie, et Ludovic Boespflug, Directeur de l’aménagement et des projets urbains du groupe Quartus, recueillis par Anne-Solange Muis :
Vous affichez une attention particulière aux usages et à l'évolution des modes de vie des habitants, qu'est-ce que pour vous une « ville adaptable » ?
Nos réflexions s'appuient sur le principe du métabolisme urbain à partir de théories comme celles de Lewis Mumford ou de Christopher Alexander. Une ville est vivante, elle ne s'inscrit pas sur un plan figé. C'est un ensemble multiscalaire qui contient plusieurs organisations physiques : infrastructures, réseaux, bâti, parcelles, qui se combinent avec des flux de personnes, de matériaux, de matériels, de nourriture… cela afin de générer des échanges d'information entre les individus. La complexité des villes a augmenté, allant de pair avec l'accélération de la création d'informations, mais la fonction de la ville reste identique tout en absorbant de plus en plus d'énergie, qui plus est dans le cas de l'étalement urbain. La politique de la ville est non pas celle d'une vision statique qui tenterait de trouver un équilibre, mais celle d'une ville en mouvement, à travers des politiques d'usages, de valeurs et de services qui viennent organiser les différents flux. Notre travail et notre volonté sont de comprendre les usages d'aujourd'hui pour nous inscrire dans un projet dynamique à moyen et long terme, et accompagner un territoire dans une vision politique telle qu'elle est déclinée dans les différentes politiques et schémas territoriaux.
Dans vos réalisations et propositions, comment l'adaptabilité prend-elle forme ?
En ce qui concerne notre métier de promoteur et d'ensemblier urbain, il faut parvenir à concevoir et construire des objets évolutifs. La question qui se pose est donc de produire des bâtiments intégrés, flexibles et mutables pour qu'ils puissent progresser et changer selon les nouvelles pratiques, modes de vie, déplacements, façons d'habiter les lieux, etc. C'est une question complexe à laquelle nous tentons de répondre de façon pragmatique, avec l'aide et l'appui des acteurs du territoire. Cela se traduit par des projets reposant sur l'économie circulaire et les circuits courts, sur l'économie d'usages, sur le développement des énergies renouvelables. Nous essayons d'avoir non pas une vision de refus, mais une approche d'adaptation, en partant de l'observation des usages des lieux pour tenter de répondre à un besoin. Cela se matérialise par exemple par la mise en place d'écosystèmes ouverts basés sur l'économie du territoire, où la production est réintroduite sous la forme d'une mixité d'usages et où sont intégrés des services de type conciergerie au service de la communauté locale. Concernant le bâti et les logements évolutifs, nous nous adaptons en fonction du territoire, il n'y a rien de systématique. Mais nous essayons de proposer des produits mixtes comme habiter-travailler, ou de nouvelles formes de colocation par exemple. Nous proposons aussi des bâtiments qui puissent permettre de passer d'une fonction à une autre : des parkings en bureaux, des bureaux en logements, etc. Mais cela nécessite de rendre nos éléments urbains mutables, ce qui, en soi, est une vraie révolution, car nous devrons accepter de limiter l'optimisation dédiée à un usage.
Quelles sont vos attentes vis-à-vis des professionnels de la ville, et plus particulièrement des élus ?
Il faudrait repenser les alignements-conflits d'intérêts entre les acteurs. C'est peut-être le sujet le plus compliqué, car il vient modifier des règles contractuelles et des habitudes de ventes, d'achats, de visions, de partenariats. Beaucoup d'acteurs peuvent adhérer à une nouvelle vision de la ville, mais changer les modèles fondamentaux qui sont utilisés au quotidien est plus difficile. Je pense que c'est un grand défi pour l'avenir : réussir à changer nos modèles de partage des valeurs, et faire comprendre que la valeur financière repose avant tout sur la valeur sociale. Les modèles de démembrement entre le foncier et le bâti peuvent représenter une nouvelle voie, mais cette réflexion ne peut s'inscrire que dans une réflexion plus large sur l'impact extra-financier des infrastructures et des ouvrages bâtis. C'est une réflexion que nous menons avec d'autres acteurs comme le groupe finance du programme environnement des Nations unies (qui regroupe investisseurs, banquiers et assureurs) et le projet Positive impact1 . Elle porte sur la façon dont on peut générer de la valeur en ayant une gestion plus durable et plus inclusive. La difficulté majeure à ce jour consiste à définir de nouveaux indicateurs d'impacts qui pourront s'intégrer dans les calculs de valorisation financière et par conséquent permettre de créer des modèles juridiques permettant d'envisager un alignement d'intérêt plus fort entre les acteurs publics et privés.
1. www.unepfi.org/positive-impact
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