La ville subit-elle une forte pression foncière ou accuse-t-elle une courbe démographique descendante ? Quelle est la composition des familles ? Quels sont leurs revenus, leur capacité d'endettement ? Quels sont leur mode de vie, leur mobilité, leurs aspirations pour se loger ? Quelles sont les qualités du site ? Que permet le PLU ? Les réponses à ces questions sont des préalables à tout projet de promotion. Mais il faut aussi, selon la présidente d'Ad Vitam Béatrice Mortier, promotrice dans la région de Montpellier, « être à la pointe sur les évolutions techniques, les innovations touchant l'écologie ». Dans un quartier excentré de Montpellier, elle s'apprête à transformer un bâtiment de bureaux en logements destinés à des familles sortant du parc social et/ou qui auront du mal à financer leur achat. Avec les banques, elle travaille sur leurs possibilités de financement. Avec un gestionnaire, elle définit les attentes des futurs habitants. Douches ou baignoires ? Cuisines ouvertes ou cuisines fermées ? Chambres de 10 mètres carrés ou de 12 ? Présence d'enfants, d'adolescents ou d'étudiants ? De ce travail découlera la typologie. Commence alors le projet avec l'architecte, puis l'analyse des plans avec un gestionnaire et des vendeurs. « À partir de là, je diminue le nombre de surprises et je lance la commercialisation. »
Des espaces à partager ?
Au sud-est, dans les nouveaux quartiers montpelliérains, Kaufman & Broad a livré un immeuble avec l'architecte catalane Carmen Santana. Au rez-de-chaussée, intégrée au hall d'entrée, se trouve une salle de gymnastique équipée. Même si cela a été apprécié, les acheteurs ont refusé les espaces communs dans les étages, qui ont muté en lieux autonomes rattachés à un appartement pour y installer un bureau ou loger un parent. Néanmoins, Béatrice Mortier pense que la clientèle existe, « une fois les enfants partis, les besoins évoluent. Jusqu'où les gens sont prêts à aller diffère ici, à Lille, Paris ou ailleurs ». Dans une autre opération, l'architecte et le maître d'ouvrage prévoient une cuisine avec tables et bancs en béton pour des moments festifs. Y sera accolé un jardin d'agrément ou potager. Le syndic aura en charge la gestion du lieu, son occupation, son nettoyage.
S'adapter au sein d'une métropole
Dans la première couronne parisienne, à Montreuil, des collectifs d'associations et d'habitants se sont créés pour s'opposer à certaines opérations immobilières. Pour les réguler, une charte de la construction durable a été élaborée à partir d'une démarche participative. Le document aborde différents sujets : maintenir une mixité sociale jusque dans le pavillonnaire, encadrer les prix de sortie avant dépôt du permis de construire, favoriser le bioclimatisme et les logements traversants. Les plans sont regardés par les services et les chantiers suivis jusqu'à la livraison. La fédération des promoteurs de l'immobilier conteste cette charte sans valeur juridique, mais pour Gaylord Le Chequer, adjoint à l'urbanisme, « elle (nous) donne des ambitions au-delà du code de l'urbanisme. Incitative, elle fait gagner du temps à ceux qui la respectent, génère de meilleures relations avec les riverains ». La charte met en exergue les spécificités du territoire. Le patrimoine agricole des murs à pêches et les bâtisses horticoles qui s'y rattachent ou le bâti industriel sont cités comme éléments remarquables. La ville n'ayant pas les moyens d'user du droit de préemption, la charte lui permet de peser sur l'évolution des constructions et d'éviter des démolitions. Le PLU en cours de révision devrait prolonger la réglementation des préconisations en les adaptant aux caractéristiques de certains lieux. Dans le bas Montreuil, l'entreprise Decaux cherche à se défaire, au profit de promoteurs, de deux halles considérées comme intéressantes. La ville négocie pour favoriser un acheteur à la recherche de surfaces atypiques. Car l'enjeu est aussi de générer de l'activité, conserver des entreprises, ne pas construire que du logement. Gaylord Le Chequer craint que la logique du Grand Paris, l'éloignement du terrain des agents chargés des dossiers d'aménagement, ne fragilise ces efforts pour la préservation des singularités montreuilloises. La charte et le nouveau PLU seront, espère-t-il, une aide pour faire valoir auprès de la Métropole du Grand Paris qu'habiter à Montreuil doit rester le choix d'un mode de vie.
Une vision d'ensemble
À la tête de l'établissement public d'aménagement (EPA) Bordeaux-Euratlantique, Stephan de Faÿ œuvre à la fabrication d'un morceau de ville de 738 hectares répartis sur les communes de Bordeaux, Floirac et Bègles. La programmation (250 000 m2) comprend logements, bureaux, équipements publics, espaces publics, activités productives et culturelles pour à terme accueillir 40 000 nouveaux habitants et 30 000 emplois. Pour Stephan de Faÿ, « ces objectifs quantitatifs doivent être au service d'une vision d'ensemble, une réflexion sur la mixité urbaine plutôt que sur une juxtaposition de fonctions. Nous devons nous projeter dans la vie du futur habitant, salarié ou promeneur. Dans une vingtaine d'années, nous ne travaillerons plus de la même manière. Il faudra pouvoir adapter les immeubles aux nouveaux usages ». L'argent public se faisant rare, la sobriété et l'inventivité sont de mise pour atteindre l'équilibre économique. Le projet d'une piscine aboutit parce que l'investisseur s'engage sur le long terme et les tarifs. Au-dessus du bassin s'étagera un programme de logements.
« Pour les candidats, l'intérêt était d'accéder à un foncier très bien situé (près de la gare Saint-Jean). En face sera édifié un bâtiment regroupant du logement, des bureaux, un centre de propreté municipal, une salle de sport, un parking et des commerces en pied d'immeubles. Tout ça dans un mouchoir de poche dans un secteur où le foncier est rare. Les coûts sont minorés ; la superposition de fonctions produit des façades actives », explique le directeur général d'Euratlantique qui par ailleurs reconnaît les fortes contraintes des cahiers des charges de l'EPA.
L'isolation par l'extérieur est proscrite, les façades en béton, en brique pleine ou en pierre contribuant à la pérennité du bâtiment sont attendues : les architectures doivent garantir un confort de vie. Les procédés constructifs simples sont encouragés, car supportant des évolutions ultérieures peu onéreuses, comme des descentes de fluides bien positionnées. « Dans nos consultations, il y a un socle intangible et une part négociable. Le promoteur peut choisir de privilégier un thème (structure en bois, digitalisation du bâtiment, pièce en plus, espaces partagés). Si la proposition enrichit le projet d'ensemble, nous y sommes attentifs. Nous fixons les prix des terrains avant les consultations et imposons la mission complète à l'architecte. Enfin, nous inspirant du name and shame , nous auditerons les bâtiments sur deux à cinq années et envisageons de diffuser les résultats. Ce n'est pas la panacée mais affiche notre exigence », conclut Stephan de Faÿ.
Partir du diagnostic
Pour Jean-Cédric Loustalot, directeur adjoint Villes et projets chez Nexity, « prendre le temps d'analyser nos territoires d'intervention se révèle payant d'autant que nous capitalisons à partir de nos expériences passées. Nous pouvons présenter aux élus une photo à un instant T : le territoire, la composition des familles, leurs revenus, la pyramide des âges, les lieux de travail. Cela nous permet de réinterroger les ambitions de la commune (y compris en cours de commercialisation), d'expliquer que tel choix entraîne telle évolution, d'exposer notre vision de la ville ». Sur 17 hectares à l'est de Toulouse pour un programme d'environ 100 000 m2 , en répondant à un appel d'offres avec le paysagiste Michel Desvigne, « j'annonce que notre parti pris sera de garder l'élément paysager qui caractérise le lieu ». À Nice, sur une ZAC de 300 000 m2 « pour 70 000 m2 à construire, nous soulevons les contradictions du plan guide et les souhaits de la collectivité sur le bioclimatisme. Notre travail consiste à revenir sur le plan-masse même au risque de perdre. C'est aussi un moyen de se différencier sur le long terme. Quitte à être clivant par rapport au cahier des charges, si nous décidons d'y aller c'est avec nos valeurs ». Encore faut-il pouvoir les tenir. À Creil dans un quartier très populaire, des budgets Anru ont été mobilisés pour améliorer espaces publics et logements. « Nous décidons de créer des maisons de ville. » À Beauvais, « nous partions également pour le même type de réalisation, mais la maire a souhaité du collectif. Les maisons à Creil se vendaient plus cher et mieux que les appartements de Beauvais où les immeubles existants avaient été refaits. Les gens se retrouvaient dans du neuf ou du réhabilité avec un niveau de loyer très faible. Pourquoi quitter le parc locatif ? À Creil, les acheteurs étaient prêts à faire un effort pour sortir de logements vieillissants, sans isolation thermique. La maison était un rêve absolu. Nous avons vendu à 95 % à des habitants du quartier. À Beauvais, en cours de commercialisation, nous avons procédé à un redécoupage du programme avec des maisons triplex ». Car la demande majeure des acquéreurs reste la maison de ville.
« Dans les Yvelines, j'ai fait de la maison de ville de 50 m2 . Cela se vend toujours mieux que l'appartement. Nous avions fait un ensemble type corps de ferme avec une courée. Cela vaut aussi dans les tissus denses. Plus l'offre existante est collective, plus la maison constitue une promesse différenciée. Le duplex reprend les codes de la maison. La limite vient de la charge foncière ; à un moment donné, on est moins pertinent avec du collectif. »
Ainsi, être en capacité de modifier un projet alors que sa commercialisation est entamée demande de répondre au plus près des attentes des habitants.
Article paru dans EcologiK 55 : Ville adaptable (sept-oct-nov 2017)