Ce projet, présenté à la dernière biennale internationale d’architecture de Venise, marque une nouvelle étape dans la longue reconversion du site de 220 hectares au bord de l’Orne, qui employa jusqu’à 6 000 personnes. L’année suivant la fermeture en 1993 et jusqu’en 1997, l’architecte Dominique Perrault développe un plan guide pour la future Communauté Urbaine Caen la mer, avec une trame d’îlots dont la taille autorise la réalisation de tous types de programme. Seules la Grande Halle et l’imposante tour de refroidissement au cœur de la friche sont conservées comme traces du passé industriel. Sur cette base, la zone d’aménagement concerté (ZAC) du Plateau est créée en 1997 sur 57 hectares et concédée à Normandie Aménagement, l’aménageur de l’agglomération. Deux sites sont développés: Normandial, une zone d’activités, et EffiScience, un campus de recherche et développement de nouvelles technologies. Avec 3000 salariés, ce dernier représente aujourd’hui une vitrine des pôles de compétitivité de la région. Pour assurer les liens avec les quartiers et le centre-ville de Colombelles, les ZAC du Libéra et Jean Jaurès accueilleront 1 350 logements. La Grande Halle se trouve dans la ZAC du Campus Technologique, implantée en 2007.
Émergence d’un écosystème du réemploi
En 2013, une démarche « d’activation du territoire » associe les collectivités et forces vives pour co-construire la nouvelle programmation, avec l’appui des architectes du groupe Espace Architecture International (EAI) et de LBMG Worklabs, spécialisé dans les lieux de travail alternatifs. Le positionnement de la Grande Halle comme «tiers-lieu, autour de l’économie collaborative et contributive » est affirmé dans la commande de programmation confiée en 2014 à Aubry et Guiguet. L’atelier Construire, fondé par l'architecte Patrick Bouchain, est retenu pour assurer la maîtrise d’œuvre de la reconversion. Leur méthodologie de travail est très collaborative, avec une permanence architecturale, des «laboratoires du dehors», trois journées d’ateliers pour préfigurer les lieux, qui précèdent des moments conviviaux. Cette démarche est associée à l’agenda événementiel du territoire pour inscrire le lieu dans les usages des habitants. En 2015, le projet est sélectionné pour l’appel à manifestation d’intérêt régional « Économie circulaire », puis l’appel à projets « Défi’Bat», tous deux lancés par l’Ademe. Pour affirmer cette orientation, Construire sollicite les architectes de Encore Heureux pour leurs compétences dans le réemploi de matériaux. En 2016, le Collectif Etc réalise la Cité de chantier, afin de concrétiser ce que sera, à terme, la Grande Halle. Sur la base de conteneurs dernier voyage et d’un gisement de matériaux réemployés, la Cité devient repère du projet, lieu d’accueil du public, de travail pour la permanence architecturale. S’y installe Le WIP (workin progress), l’association créée pour préparer la gestion et l’animation de la Grande Halle.
Vers une filière du réemploi
Pour restructurer les 3 200 mètres carrés, plus de 7,6 millions d’euros cofinancés par l’Union européenne et l’Ademe sont nécessaires. Les 1 000mètres carrés de la grande nef sont presque laissés en l’état en vue de recevoir des événements, tandis que la petite nef offre, dans une structure en bois, 650 mètres carrés de bureaux, un café-restaurant, des ateliers et salles de répétition. Le lot 1 du chantier est confié au WIP, qui sensibilise, identifie dans un rayon de 3 kilomètres les gisements de matériaux, les collecte, remet en état et fournit aux entreprises. L’association est appuyée par Atipic, une entreprise mobilisée dans le cadre du dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée. Chaque matériau est lié à un dossier rassemblant les informations sur son origine et ses caractéristiques techniques, une condition pour que les entreprises puissent l'utiliser et que les assurances couvrent les travaux. Selon Valentin Blanlot, chargé du réemploi de matériaux au WIP, «l’économie de ce qui n’est pas acheté neuf est compensée par la dépense de matière grise et de reconditionnement. Mais la plus value qualitative n’a pas de prix.»
Le réemploi couvre, entre autres, les radiateurs et sanitaires, des menuiseries et bois de charpente. Des fins de stocks de faïences sont aussi valorisées et les palettes de transport de ces matériaux servent même à l’aménagement du bar et des bureaux. Le WIP vient de monter une société coopérative pour gérer la Grande Halle et envisage désormais le développement d’une plateforme physique du réemploi aux fins de poursuivre son activité. Partenaires rencontrés pendant le projet et intéressés pour faire évoluer leur pratique, le département du Calvados et l’Office Public de l’Habitat Inolya viennent de missionner Le WIP pour une recherche-action. Il animera le réseau des tiers-lieux normands et accompagnera cinq villes pilotes. Cette démarche de reconversion réussie sera sans nul doute transposée à d’autres territoires.
► Article paru dans Ecologik 63 : Reconvertir, réhabiliter, muter