Les dessins au feutre campent des scènes chaleureuses et colorées, où des enfants écoutent, lisent et jouent sous des toiles tendues ou non loin d’arbres dont les branches se courbent comme pour mieux les protéger. Ces atmosphères qui évoquent l’Afrique sont le résultat le plus manifeste des deux semaines de workshop qui ont animé l’intersemestre de l’École supérieure des arts et techniques de Paris, en mars 2015. Cet atelier proposait l’aménagement d’un camion nommé Alphabus dans la région de Tchamba, au Togo, pour alphabétiser les femmes et jeunes filles de villages isolés. Réalisé avec l’association Luciol’Envol, l’exercice offrait un cadre de réflexion technique, social et éthique ainsi qu’un projet « pour de vrai », auquel les apprentis designers se sont révélés très sensibles. Comment faire école ? La question, courte dans son expression, recèle quantité d’inflexions lorsqu’elle s’applique au territoire togolais. Comment s’asseoir quand le sol peut subitement devenir boueux sous l’effet de fortes pluies ? Comment maintenir la concentration des élèves lorsque le soleil se fait chaque jour aussi écrasant que harassant ? Comment signaler son existence auprès de villageois parfois mal à l’aise avec le monde des livres ? Comment s’installer confortablement avant de repartir vers une contrée voisine ?
Si ces questionnements ont été investigués diversement par les quatre équipes de volontaires, certaines postures convergent. Chaque proposition fait du véhicule son point d’ancrage, à partir duquel se déploient les classes. L’engin lui-même est envisagé comme un lieu polyvalent : moyen de locomotion, rangement, bibliothèque, coin lecture, générateur ou mur de projection selon les heures. Idem pour les tentes : salles de classe, cinéma de plein air ou boîte de nuit ! Cette multifonctionnalité apparaît comme une donnée avec laquelle les étudiants composent sans peine : elle les incite à emboîter poteaux, tables, tabourets et étagères les uns dans les autres, sinon à transformer l’un en l’autre d’un simple basculement, en fonction des besoins du moment. Ce mouvement vers l’optimisation à tous crins n’empêche pas de prévoir des aménités sympathiques : des bonbonnes d’eau à l’arrière du bus pour se désaltérer sans gêner le cours, tout en jetant un coup d’œil à une bibliothèque de CD et de livres ; des tableaux noirs sur les portières pour que les enfants inscrivent des messages à leurs camarades du village suivant. Les étudiants considèrent ainsi chaque mobilier et équipement dans sa capacité à devenir autre chose. Les planches de présentation laissent d’ailleurs filer un cortège de suffixes en « able », qu’elles évoquent la technique ou les situations imaginées : les éléments sont « pliables », « rétractables », « empilables », « enroulables », « adaptables », pour ne pas dire « durables » ! Aujourd’hui, l’association a acheté le véhicule utilitaire et les subventions se débloquent, peut-être encouragées par ces figurations augurant une réalité avenante. L’Alphabus s’est aussi enrichi d’un nouveau volet : devenir bibliothèque mobile. Invités à participer à sa concrétisation, les étudiants sauront-ils sauvegarder la valeur potentielle des choses ?