Un bâtiment performant intègre deux composantes : l’efficacité de son bâti et la qualité de son système énergétique. Le logement collectif neuf d’aujourd’hui se doit d’être très bien isolé par l’extérieur, comme l’explique Vincent Pierré, responsable du bureau d’études Terranergie, spécialisé dans la basse consommation : « En matière d’isolation, il ne faut pas trop se poser de questions et faire le maximum. » Pour ce qui est de l’énergie, on choisit de préférence un système low-tech, simple et éprouvé. L’un des plus efficaces est le trio ventilation double flux à récupération de chaleur et production solaire thermique avec complément par chauffage au bois.
Mutualisation gagnante
Si les solutions de pointe misent sur un bâti bien isolé, elles mutualisent surtout le système énergétique. Quand on a choisi d’habiter ensemble, pourquoi ne pas pousser cette notion de collectivité jusqu’au bout en partageant les équipements. Les maîtres d’ouvrage tendent trop souvent à vouloir se simplifier la vie et à individualiser les consommations, donc les équipements. Or, la mise en commun des systèmes engendre de faibles charges et permet une amplification des gains, en particulier dans un bâtiment performant où le niveau de consommation est faible. Selon Vincent Pierré, « instrumenter un bâtiment de quinze à vingt logements coûte environ 1 500 euros ». Cet investissement permet de mesurer températures de fonctionnement et rendement des systèmes collectifs, donc de détecter d’éventuels problèmes. En individuel, le coût serait de 500 euros par logement. L’énergéticien vosgien ajoute : « La mise en commun permet aussi d’avoir une maintenance unique et digne de ce nom. En individuel, lorsque chacun a sa propre chaudière à gaz dans son appartement, nous ne savons pas si le locataire ou le propriétaire en assure correctement l’entretien.»
Chauffage par batterie chaude
Dans la recherche des performances, il y a théorie et pratique. La théorie demande de ne jamais chauffer les locaux au-delà des 19 degrés légaux et suppose que tous les occupants sont conscients des enjeux énergétiques, que chacun saura contrôler ses dépenses… La réalité est bien différente et répond aux besoins personnels et aux habitudes des locataires. « Il faut voir la réalité en face, renchérit Antoine Pagnoux, architecte basé à Saint-Dié-des-Vosges et maître d’œuvre de nombreux bâtiments performants, réalisés notamment pour le bailleur social Le Toit Vosgien. On ne peut imposer à tout le monde le même confort thermique. Celui qui n’est pas satisfait de la température de son logement va, soit ouvrir ses fenêtres, soit brancher des radiateurs électriques supplémentaires. » Deux questions se posent donc : quel niveau de chaleur fournir à l’ensemble de l’immeuble ? Comment éviter les comportements dispendieux de certains ? La solution la plus pragmatique consiste à garantir une base de chauffage commune, additionnée d’une petite marge de manœuvre.
Projet pilote au cœur des Vosges
Cette vision est actuellement mise en place à Saint-Dié par le duo Pagnoux-Pierré dans la résidence Jules Ferry, en cours de chantier. Cette opération d’habitat social exemplaire est composée de deux bâtiments : l’un de trois niveaux, l’autre de huit. Construits en bois et isolés en paille, ils répondent au label Passivhaus et ne possèdent pas de système de chauffage à proprement parler. En hiver, le confort thermique est fourni à 50 % par les rayons solaires qui arrivent sur les façades et les fenêtres, à 50 % par les apports internes : la chaleur émise par les appareils électroménagers, la préparation des repas, l’électronique, etc. S’il en ressent le besoin, l’occupant peut augmenter la température intérieure de quelques degrés avec une « batterie chaude ». Cet échangeur de chaleur de type air-eau ressemble à un radiateur de voiture : l’air de la ventilation se chauffe en circulant autour des ailettes qui entourent des tubes dans lesquels circule de l’eau chaude. Intégré dans la ventilation mécanique contrôlée (VMC), cet appareil est invisible. Chaque logement comprend un afficheur sur lequel le locataire peut, s’il le désire, voir défiler ses consommations et lire des messages d’alerte en cas de dépassement. Rien ne lui est interdit, mais il est informé des conséquences de ses éventuels gaspillages, sans que ce soit culpabilisant. Selon les simulations, les charges pour le chauffage, l’eau chaude sanitaire et l’entretien des systèmes de la résidence Jules Ferry ne devraient pas dépasser 130 euros par an pour un appartement de quatre pièces. Une performance qui laisse rêveur…
Solaire passif
Les apports solaires passifs constituent une importante source de chaleur pour les immeubles performants. Or, volets roulants et brise-soleil extérieurs restent souvent fermés pendant la journée, notamment en hiver lorsqu’ils sont particulièrement nécessaires. Celui qui clôt ses volets orientés au sud prive donc ses voisins des apports gratuits que le bâtiment devrait emmagasiner. Il serait possible d’informer les locataires de cet état de fait mais les notes de service ont leurs limites. Dans sa dernière réalisation, le duo Pagnoux-Pierré a choisi une autre voie, à savoir de ne pas équiper d’occultation extérieure la grande baie vitrée du séjour-cuisine, large de 3,50 mètres et orientée plein sud. « Le bilan sera positif grâce à l’ombre portée des balcons en été, l’absence de volets et la possibilité de mettre les voilages intérieurs, explique Antoine Pagnoux. Mais d’une manière générale, la question de l’appropriation des techniques par les occupants reste délicate. D’un côté, la technologie ne résout pas tous les problèmes ; de l’autre, le travail d’information des locataires est rarement bien fait. »
Corvée de bois
Dans la recherche de solutions simples et performantes, que les locataires peuvent aisément s’approprier, il y a le poêle à bois individuel en habitat passif. Vincent Pierré est enthousiaste : « C’est simple comme bonjour ! Si l’occupant est absent, personne ne le charge, il n’y a donc pas de surconsommation. Si l’occupant a froid, il le met en route. S’il le charge trop, il a trop chaud et comprend tout de suite qu’il doit arrêter d’ajouter des bûches.» Sans oublier qu’en cas d’absence prolongée du résident, un bâti très isolé baisse peu en température. Pour le Toit Vosgien, l’énergéticien a expérimenté en 2010 avec succès des poêles bouilleurs dans un lotissement de vingt-deux maisons baptisé Toits de la corvée. Une simplicité à redécouvrir aussi pour l’habitat collectif.