Rédigé par Dominique Gauzin-Müller | Publié le 14/02/2014
Dominique Gauzin-Müller : Quel est l’enjeu de la rénovation énergétique ?
Olivier Sidler : L’enjeu est double : préserver les ressources et freiner le réchauffement climatique. Même si la découverte des gaz de schistes a un peu déplacé la situation, le Pic de Hubbert¹ a été dépassé en 2009, dans un monde toujours en croissance démographique et économique qui ne tient pas compte de la finitude des matières premières, dont les énergies fossiles. La deuxième exigence, c’est de limiter à tout prix l’augmentation de température sur Terre à 2 °c, sous peine de voir le climat s’emballer. Les experts du GIEC² nous ont prévenus : au-delà, nous risquerions un emballement du climat qui ne serait plus contrôlable. Nos civilisations ne sont pas prêtes à ces bouleversements. Il y va de la survie de l’humanité avant la fin du siècle ! Je ne suis pas catastrophiste : j’analyse les faits. La classe politique et le monde industriel sont actuellement dans le déni. Mais réfuter un phénomène anxiogène conduit à différer des décisions qui doivent absolument être prises. Le Grenelle de l’environnement avait apporté des avancées notables, mais une régression est actuellement sensible, alors qu’il faut agir d’urgence.
D.G.-M. : Quel est le niveau de performances à atteindre ? Quelle est la stratégie pour y arriver ?
O.S. : Pour être à la hauteur des exigences du changement climatique, il faut diviser nos consommations d’énergie au moins par quatre. L’objectif est d’atteindre globalement 50 kwh/m2.an d’énergie primaire³ pour le tertiaire et l’habitat, neuf et ancien confondus. Je parle de besoins mesurés, pas de simulations ou de calculs ! Il faut absolument éviter de faire des travaux insuffisamment ambitieux en attendant une deuxième rénovation qui n’arrivera pas avant longtemps. Ce serait « tuer le gisement » des économies. Au vu des coûts de la main d’œuvre, de l’échafaudage et autres installations de chantier, épargner par exemple sur l’épaisseur de l’isolant serait ridicule et ne conduirait à aucune réduction significative de la dépense. Il faut faire les travaux au bon niveau et en une seule fois pour des raisons économiques et fonctionnelles. Les rénovations partielles génèrent beaucoup de pathologies très contre-productives : défaut de ventilation, hétérogénéité des besoins dans les logements rendant impossible le fonctionnement des installations de chauffage et réduisant les économies attendues.
D.G.-M. : Combien de bâtiments sont concernés ?
O.S. : En France, ce sont les bâtiments construits avant 1975, date de la première réglementation thermique, qui doivent être traités en priorité. Pour l’habitat, cela représente environ 16 millions de logements d’une surface moyenne de 74 mètres carrés, consommant environ 320 kWh/m2.an pour le chauffage (surface habitable). Les maisons individuelles représentent 53 %, le reste se partage entre 20 % d’immeubles de deux à neuf appartements et 27 % de plus grands collectifs. Dans le tertiaire, environ 800 millions de mètres carrés sont concernés avec quatre grands secteurs (bureaux, équipements de santé, enseignement et commerces), dont les consommations sont très contrastées selon les usages. Une consommation moyenne du parc de 50 kwh/m2.an en 2050 diviserait par six les consommations des bâtiments d’avant 1975 et par quatre celles du parc entier (environ 200 kwh/m2.an aujourd’hui).
D.G.-M. : Faut-il inciter les maîtres d’ouvrages à ces travaux de rénovation ou les y obliger ?
O.S. : L’incitation ne suffit plus. Nous n’y arriverons que par l’obligation ! Le reste est de la démagogie, sous le prétexte de ne pas interférer dans la sphère privée. Si nous voulons nous tirer collectivement de ce mauvais pas, il faut accepter des contraintes individuelles. Ce ne sera pas facile, mais c’est nécessaire ! C’est le gouvernement allemand qui va le plus loin et pourtant il ne va pas assez vite. Il incite à la rénovation depuis plusieurs années et participe aux travaux à hauteur de 30 %, mais cela ne touche que 265 000 logements par an, soit 0,8 % du parc immobilier. À ce rythme, il lui faudra plus d’un siècle pour tout rénover… Si la mesure n’est pas imposée, nous n’atteindrons ni le bon niveau ni la bonne vitesse. Le délai est très court : vingt à trente ans, tout au plus. Il faut un chef d’orchestre qui donne le tempo, en visant une obligation en janvier 2016. D’ici là, il faut faire de la sensibilisation pour préparer le public. Quand les gens auront compris l’enjeu, ils vont adhérer et s’engager. Sinon, ils descendront dans la rue et boycotteront la rénovation.
D.G.-M. : Que comprennent les « bouquets de solutions techniques » que vous préconisez ?
O.S. : Nous développons depuis une dizaine d’années des « Solutions Techniques de Référence » (STR). Il s’agit de combinaisons de dispositions touchant tous les éléments de l’enveloppe (murs, toiture, menuiseries, etc.), le niveau d’étanchéité à l’air, mais aussi les améliorations sur la ventilation et les systèmes de chauffage. L’idée, assez iconoclaste à l’époque, était de proposer des bouquets de mesures et des exigences utilisés indistinctement à Brest, Strasbourg et Marseille, avec des consommations évidemment différentes selon les régions, mais aboutissant à une consommation moyenne du parc qui soit bien de 50 kwh/m².an. Cela conduit à une mutualisation de l’effort et facilite considérablement les choses. Si chacun devait arriver au résultat visé, ce serait très compliqué et très cher, voire même probablement impossible : le calcul d’une consommation à ce niveau ne peut plus se faire par des méthodes simplifiées. Il faut de la souplesse !
D.G.-M. : Avez-vous déjà testé cette méthode ?
O.S. : Nous l’avons appliquée en 2005 sur la rénovation du Quartier Franklin à Mulhouse, avec une consommation mesurée de 71 kwh/m2.an. Le décalage avec l’objectif s’explique ici par le comportement des usagers (qui ne se satisfont pas de la température fatidique de 19 °c) et des chaudières trop puissantes induisant une dégradation des rendements. Dans un immeuble de neuf logements situé rue Vendôme à Lyon, nous avons atteint 15 kwh/m2.an en 2008. L’analyse du bilan financier et des mesures faites sur ces bâtiments nous permettent d’améliorer peu à peu nos propositions. Par ailleurs, le marché devient plus mature et les coûts tendent inexorablement vers 250 euros ht/m2 pour la partie rénovation énergétique.
D.G.-M. : Quels sont les outils de financement ?
O.S. : L’éco-prêt à taux zéro (écoPTZ), dont la durée est maintenant de quinze ans, est un outil intéressant mais boudé par les banques à cause des vérifications techniques demandées. Il est accessible à tous avec un plafond de 30 000 euros. La surface moyenne des logements construits avant 1975 étant de 74 mètres carrés, cette somme est réaliste. L’État prend en charge les intérêts qui se montent pour lui à environ 25 % du prêt. Est-ce une dépense qu’il peut payer ? La gravité de la situation exige qu’il le fasse… et il en retirera des bénéfices ! Une étude de la banque allemande KFW4 fait apparaître un important effet de levier : 1 euro de la KFW a généré 11 euros de travaux et rapporté 4 euros en recettes fiscales et en baisse de cotisations pour le chômage. La rénovation n’est pas une dépense, mais un investissement !
D.G.-M. : Les artisans sont-ils formés pour réussir ce challenge ?
O.S. : Les maisons représentent plus de la moitié des logements à rénover et les deux tiers de la consommation de chauffage du parc résidentiel d’avant 1975. Or les Français font rarement appel à un architecte ou à un bureau d’études pour l’habitat individuel. Par ailleurs, il faut rénover globalement et en une fois. Ce sont donc non pas des artisans atomisés mais des groupements qui doivent s’attaquer à ces travaux. Il est important de leur fournir des outils pratiques, comme la STR, leur permettant de réaliser des interventions ambitieuses à moindre coût, grâce à des mesures simples, une industrialisation des solutions et une meilleure organisation du chantier. L’obligation de rénover donnerait le signal de la montée en puissance de ces « grappes d’entreprises » pour créer une dynamique, en s’appuyant sur des outils de financement simples, comme l’éco-PTZ. Pour les grands bâtiments résidentiels et tertiaires, architectes et bureaux d’études seront bien sûr aux côtés des entreprises et des artisans.
D.G.-M. : La rénovation est-elle déjà en route ?
O.S. : Nous avons lancé dans la Biovallée® de la Drôme5 un projet expérimental intitulé DORéMI6, dont l’objectif est de structurer sur tout le territoire une offre de rénovation thermique performante (50 kwh/m².an) pour des maisons construites avant 1975. Avec nos partenaires (Institut négaWatt, CAPEB, FFB, Néopolis, etc.), nous avons proposé à plus de soixante-dix artisans très motivés une formation comprenant deux jours autour d’une table et une journée plus pointue sur chacun des métiers. Sept groupements comprenant tous les corps d’état nécessaires ont déjà été constitués afin d’offrir aux propriétaires l’ensemble des compétences requises. Nous les accompagnons chacun sur quatre analyses d’opérations (état des lieux, migration de vapeur, choix du bouquet de solutions le plus adapté, argumentaire commercial, devis, montage économique et financier), et nous suivons ensuite les travaux sur deux bâtiments jusqu’à la remise des clés au client.
L’obligation de rénovation, qui devrait absolument être mise en place pour lancer la dynamique de rénovation énergétique, n’aboutira que si les acteurs se forment et se structurent pour répondre efficacement à ce défi global, qui constitue l’un des principaux projets industriels de la France pour les prochaines décennies.
Propos recueillis par Dominique Gauzin-Müller
1. Selon le géophysicien américain Marion King Hubbert, le moment où la capacité à produire une matière première, en particulier du pétrole, sera inférieure à la demande.
2. Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.
3. Tous les chiffres indiqués ici sont donnés en énergie primaire.
4. Kreditanstalt für Wiederaufbau, établissement public créé en 1948 pour la reconstruction de l’Allemagne. Détenu à 80 % par l’État et 20 % par les régions, il a depuis étendu ses financements au niveau international. Fin 2011, le volume de promotion total était de 70,4 milliards d’euros, dont 32 % pour l’environnement et le climat (18,4 milliards en Allemagne). Plus d’infos sur : http://mpra.ub.uni-muenchen.de
5. Projet développé par quatre intercommunalités du Val de Drôme, au
sud-est de Valence
(www.biovallee.fr).
6. Dispositif opérationnel de rénovation des maisons individuelles.