Depuis septembre 2013, la rade de Lorient s'enorgueillit d'une navette maritime sans équivalent dans le monde. Ar Vag Tredan, un catamaran d'une capacité de 150 voyageurs, relie la ville à la commune de Locmiquélic à raison de 28 allers-retours par jour, sans émettre le moindre gramme de CO2. Il s'agit d'un bateau électrique (la signification de son nom breton) embarquant suffisamment d'énergie pour les 15 minutes de navigation de chaque rotation. Sur le quai de Locmiquélic, une borne le recharge en quatre minutes à peine, et c'est là que se situe l'exploit technologique : Ar Vag Tredan est équipé de super-capacités ! Des batteries classiques n'auraient pas convenu : leur autonomie est insuffisante pour tenir une journée de service, et leur charge prend des heures. La densité énergétique* des super-capacités, dont la conception rappelle celle des condensateurs, permet aujourd'hui la motorisation électrique de transports collectifs. Des centaines de bus équipés de ces modules sont annoncés dans le monde. Des bornes équipant certains arrêts leur garantissent, en quelques secondes, l'autonomie suffisante pour se rendre jusqu'à la prochaine. D'ici quelques années, la densité énergétique des super-capacités pourrait tripler, ouvrant la voie à de nouvelles applications.
Clé de voûte de l'essor des renouvelables
Le stockage de l'électricité est l'un des défis énergétiques majeurs du xxie siècle. Le développement de la voiture électrique en dépend. Comme les super-condensateurs à recharge flash imposeraient des arrêts trop fréquents, les batteries lithium-ion offrent aujourd’hui la meilleure solution. Leur autonomie plafonne encore cependant à 150 kilomètres. On évoque régulièrement la pile à hydrogène, gaz dont la combinaison avec l'oxygène de l'air génère un courant électrique, mais la technologie reste bien trop onéreuse et le réseau d'approvisionnement est à créer de toute pièce.
À l'échelle des réseaux électriques, le développement de solutions de stockage est l'une des clés de l'avènement des énergies renouvelables. Par son intermittence, la production de courant à partir du vent ou du soleil pose des problèmes nouveaux aux gestionnaires, dont l'une des tâches est d'assurer à tout moment l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Adosser les parcs éoliens et photovoltaïques à des unités de stockage suffisamment nombreuses et performantes signerait une petite révolution. Ces modules seraient chargés pendant les heures de production abondante et déchargés sur le réseau lors des creux, lissant les aléas et gommant l'inconvénient de l'intermittence. La voie serait alors ouverte à des systèmes électriques « 100 % renouvelables ». Faute d'équipement de ce genre, la Réunion, la Guadeloupe ou la Martinique, bien dotées en électricité éolienne et solaire, en voient l'injection limitée à 30 % de la charge globale du réseau, afin de limiter les instabilités.
Quelle technologie choisir ?
Les pistes ne manquent pas pour résoudre l'équation du stockage. À grande échelle (jusqu'à plusieurs centaines de mégawatts de puissance), les stations de transfert d'énergie par pompage (Step) sont très intéressantes. Lors des situations de surproduction, elles utilisent l'électricité pour hisser de l'eau derrière un barrage tandis que l’énergie est restituée en période de besoin en turbinant l'eau en sens inverse. Le rendement dépasse 80 %. Mais presque tous les sites favorables ont déjà été équipés et les contraintes environnementales limitent les nouveaux projets. Dans une gamme de puissance inférieure, des pompes compriment dans une caverne souterraine de l'air qui sera détendu plus tard, en fonction des besoins, produisant de l'électricité via une turbine à combustion. Le rendement de ce stockage à air comprimé peut atteindre 70 %, mais les cavernes adéquates sont rares.
Bien d'autres technologies sont envisagées pour de plus faibles puissances. Elles varient selon les applications : fixes ou mobiles, à décharge fréquente ou non, à bonne densité en énergie ou bien en puissance, etc. Certaines pompes à chaleur échauffent un fluide dont l'énergie actionnera plus tard une turbine électrique. La chaleur solaire emmagasinée de jour dans un réservoir à sels de sodium et de potassium peut être livrée la nuit à une centrale solaire thermoélectrique (CSP). Les classiques batteries électrochimiques, dont les espèces chimiques dissociées échangent des ions en produisant du courant, restent pertinentes jusqu'à quelques mégawatts de puissance. De grosses unités sodium-soufre, un des meilleurs compromis économiques actuels, sont en service sur plusieurs réseaux dans le monde. À la Réunion, l'une de ces batteries contribue à lisser un peu la production renouvelable.
Le Danemark mène la danse
Si les voies sont nombreuses, aucune ne s'impose vraiment en raison de facteurs limitants, propres à chaque technologie : rareté des sites, efficacité limitée, volumes trop importants, coût des installations. Côté économique, la réflexion progresse cependant. Les pouvoirs publics pourraient bientôt valoriser la constitution d'unités de stockage, donnant ainsi un prix au service rendu au réseau et à la collectivité. En France, la création en 2014 d'un « mécanisme de capacité », qui rémunérera la disponibilité de moyens de production lors de la pointe hivernale de la demande d'électricité, ira dans ce sens. Mais d'autres projets encore plus puissants travaillent les esprits. Au Danemark, l’éolien couvre déjà 30 % de la demande d’électricité : un record mondial ! À l'horizon 2050, des prospectives officielles imaginent que les équipements familiaux deviendront les unités dispersées d'un vaste réservoir d'énergie, géré à l'échelle nationale via un réseau bourré d'organes intelligents. Si le parc de voitures électriques se développait notablement, les batteries (quand elles sont branchées sur une borne de recharge) serviraient de réceptacle quand le courant serait trop abondant pour les besoins du pays, et inversement livreraient une partie de leur charge en cas de déficit de production. Selon un principe identique, le gouvernement pourrait favoriser le développement des chauffe-eau électriques, stockant sous forme de chaleur une surproduction éolienne. Ces nouveaux services feraient l'objet de contrats avec les foyers prestataires, rémunération à la clé. Alors que le Danemark ambitionne, d'ici à 2050, de couvrir la moitié de ses besoins électriques grâce au vent, ces nouvelles modalités de stockage sont considérées comme l’une des solutions d'avenir les plus prometteuses.
* La quantité d'énergie stockée par unité de volume ou de masse.