Quand l'art et la participation sont convoqués dans le réaménagement d'un parc public, les habitudes sont un peu chamboulées.
Le Département doit faire face aux aléas d'une concertation ; le projet est évolutif, chronophage et plus risqué. C'est pourtant le choix qu'a fait le service Environnement du Département de la Drôme pour le parc de Lorient. L'idée est osée, alors pourquoi cette prise de risque ?
C'est un capitaine de Dragons, Charles Lorient, qui donna son nom à cette terre drômoise. Belle propriété bourgeoise depuis des siècles, elle est achetée en 1967 par le Département, avant d'être ouverte au public en 1989. Classé Espace naturel sensible (ENS) depuis 2008, le parc a un statut particulier au sein des ENS départementaux. À la différence de sites remarquables comme la forêt de Saoû ou le plateau d'Ambel, le parc de Lorient, de taille modeste (17 hectares), est situé à la périphérie d'une agglomération.
De plus, sa fréquentation élevée est une véritable carte à jouer pour rendre visible l'action du Département dans la gestion des ENS : environ 200 000 promeneurs le visitent tous les ans. Il faut parvenir à éveiller leur curiosité et pour cela, la collectivité territoriale a fait le choix du dialogue et de la participation. Nous sommes là dans une démarche nouvelle : un volet artistique et coopératif s'ajoute au nécessaire réaménagement paysager, et l'appel d'offre se fait sous forme de dialogue compétitif.
TRAVAIL DE CONCERTATION
Pendant trois ans, le parc a été le terrain de jeu de nombreux acteurs, épicentre d'énergies multiples à orchestrer. Le Département porte l'ensemble du projet et choisit de faire appel à un commissaire artistique et médiateur, Élisa Dumay et son association De l'Aire. Elle initie le mouvement et favorise l'harmonie du dialogue. L'agence de paysages BASE et le collectif Dérive, associé à l'agence culturelle AETC et formé d'architectes, artistes et paysagistes, composent, dessinent et réalisent l'aménagement. Véritables « mémoires du lieu », Sylvia et Lilian Pellet, agents d'entretien qui vivent à l'année dans la maison du parc, apportent leur connaissance précieuse des promeneurs et jouent un rôle central dans la définition des usages et l'accompagnement au changement de l'espace. Combien de fois Sylvia a-t-elle expliqué la gestion différenciée, fauche tardive et haies vives, à celui qui se plaignait du manque d'entretien ?
« Rien ne s'est fait dans un rapport classique de prestataires-institution » souligne Élisa. Sans doute parce que chacun avait un rôle bien défini, et s'était accordé au même diapason.
Il en est ainsi de Base, mandatée pour le volet paysager. L'agence a redonné de la cohérence au site et pallié le vieillissement des équipements tout en prenant en compte les habitudes des usagers. La réhabilitation du parking principal, la diversification de la végétation et le renouvellement du parc arboré se sont fait dans la concertation, tout comme la restauration des cheminements et la nouvelle allée de l'entrée.
« Notre envie était d'apporter du confort pour les usagers dans une sobriété d'équipements », résume Pauline Swed, chargée de projets. On note en effet la sobriété efficace du grand platelage et des axes en prairie fauchée, qui formalisent aujourd'hui la prairie centrale.
Ces aménagements paysagers se sont faits en lien avec le projet artistique et participatif de Dérive. Et là, c'est une nouvelle partition, ouverte à l'improvisation. Car les chantiers sont pour Dérive un processus ouvert, temps de vie fédérateur, créatif et populaire. Une équipe de stagiaires du Greta, structure de l'Éducation nationale qui organise des formations pour adulte, des jeunes de l'Institut médico-éducatif de Montéléger ainsi que du lycée horticole de Romans ont été des forces vives pour la construction. Une planche à couper, de la terre à porter ou à ratisser : chacun a un rôle et se sent le temps d'une journée ou d'une résidence l'âme d'un bâtisseur.
Le projet prend forme. Il est conté dans les « fanzines » réalisées par AETC et Jeanne Aimé-Sintès, ainsi que des travaux d'étudiants de l'École supérieur d'art et de design de Valence. Grâce à ces supports de communication, le visiteur découvre des dessins de promeneurs ou de collégiens partenaires, des textes explicatifs au ton sympathique et autres figures libres comme recettes aux orties ou horoscope animalier, variations d'un même thème, soufflé par l'esprit du collectif. Place désormais au carnaval, à la danse et aux inaugurations de chaque œuvre, grâce à la compagnie Délices DADA qui invite les promeneurs à une découverte dadaïste et improbable de ses œuvres, grâce aussi à la marionnette baptisée Tantôt, qui met en scène avec drôlerie l'avancée des travaux dans une série de créations vidéos. Quelques tensions ont surgi bien sûr, que n'importe quel investissement humain aurait généré, ainsi que des difficultés, comme le travail en pleine chaleur sous l'assaut des moustiques.
SOUS LE SIGNE DE L'INVENTIVITÉ ANIMALE
Le Département a retenu le projet du collectif Dérive et AETC, Anima-Motrix, une réalisation de cinq œuvres évoquant l'animal disposées à des endroits stratégiques dans le parc. Autour de ce thème fédérateur, elles mettent poétiquement en scène les usages du lieu, tout en les renforçant. Faites de matériaux bruts et d'assemblages simples, les créations s'ajoutent avec finesse au paysage.
Au fil de sa balade, le promeneur découvre les galeries du château, rappel tangible du passé et évocation libre des animaux fouisseurs, ver de terre, blaireau ou fourmi rousse des bois.
Pour celui qui aime flâner près de la rivière et s'y baigner l'été, Dérive a installer La Hutte, plateforme qui permet de se reposer et de se sécher tranquillement les pieds.
Mine de rien, l'amas de bois flotté entremêlé évoque le castor, dont l'étymologie aurait donné son nom au court d'eau du parc, la Véore. Besoin d'un point de ralliement pour les groupes ? Le Nid près de l'entrée est accueillant. Son estrade enveloppée de gaulettes de châtaignier permet d'écouter les indications ou de reprendre des forces autour d'un casse-croûte partagé. Et pour les enfants qui cherchent à s'amuser lorsque la balade semble longue, les alvéoles ponctuent le chemin, et invitent à l'escalade et à l'observation. S'ils rêvent de cabanes, l'Essaim est au bout du platelage en ganivelle. Les enfants en font leur miel et profitent des possibles offerts par cet imaginaire.
Car Anima-Motrix, c'est littéralement « l'âme mobile », qui se réincarne différemment dans chaque œuvre, invitant le promeneur à faire lien avec l'animal et à écouter ses sens...
Promesse d'expériences « grisantes ! » Pour Christophe Père, paysagiste au sein du collectif Dérive, c'est tout le projet qui exprime l'« inventivité animale ». Selon lui, « l'esprit créatif est roi, et l'animal qu'on ne voit pas - ou lors d'apparitions furtives - a ici toute sa place ». Il est suggéré artistiquement par les traces et œuvres de bois. L'approche de l'environnement est immanente, « empirique et intuitive », inspirée des écrits de Jean-Christophe Bailly. Si l'on joue le jeu, les sens se délient, et une pulsion animale commence à nous gagner. L'Anima-Motrix s'insinue, l'enfant rugit de plaisir et l'on s'ébroue dans la même harmonie.
Le parc de Lorient est un exemple de changement atypique pour un projet public de réaménagement. Souvent, la gestion publique est cadrée et anticipée, mais ici le Département a fait le pari de l'art et de la participation. Pour quel résultat ? Des habitués qui se sont sentis acteurs de changements, quelques grincheux à qui les travaux ont été expliqués, et une équipe d'acteurs multiples qui s'est soudée par le dialogue et la concertation. Et surtout, des œuvres d'art, architectures organiques, qui ont révélé de nouveaux usages du parc aux habitués.
Le projet est réussi : le « parc pour tous » suggère l'animal et rend visible l'humanité de ses acteurs, tout comme il permet de redécouvrir le paysage à travers l'art.
Article paru dans Ecologik 58 : Confort et économie, les vertus du bois
POUR ALLER PLUS LOIN
www.animamotrix.fr
FICHE TECHNIQUE
♦ Lieu : Parc de Lorient, commune de Montéléger, à 8 km de Valence, au pied du Vercors.
♦ Programme : réaménagement artistique et paysager du parc départemental de Lorient (commune de Montéléger).
♦ Commanditaire : Département de la Drôme, service Espaces naturels sensibles.
♦ Direction artistique, coordination et médiation : Élisa Dumay (De l'Aire).
♦ Régie technique : Stanislas Gielara (Trafik d'Art).
♦ Maîtrise d'ouvrage : Département de la Drôme
♦ Maîtrise d'œuvre des aménagements paysagers : Base paysage
♦ Conception générale, design et construction : Collectif Dérive (Christophe Père, James Bouquard, Pierre-Yves Péré, Guillaume Quemper).
♦ Récit et médiation : Eloïse Bloit, Jeanne Aimé-Sintès.
♦ Graphisme fanzine : Juliette Six (Bonjour Cascade).
♦ Surface : 17 ha.
♦ Budget :
- Volet paysage : 417 355 € HT.
- Volet artistique (création, médiation, pilotage) : 257 600 € HT.
- Programmation et logistique : 63 600 € HT.
♦ Calendrier : 2015-2017.