Rédigé par Marie-Anick Rantos | Publié le 02/06/2015
« Nous devons cesser de construire des tours énergivores, changer de mode de vie et surtout fuir notre ego et l’envie de marquer le territoire par des constructions extraordinaires, pour simplement répondre aux besoins des autres et s’intégrer dans l’environnement », répète inlassablement Françoise-Hélène Jourda à ses confrères. Reconnue en France comme la porte- parole de « l’architecture durable », elle milite pour un exercice responsable de la profession, passant nécessairement par une rupture technologique, sociétale et individuelle.
Vouloir, c’est pouvoir
Construire autrement et changer nos comportements pour « sauver la planète », c’est participer à la création d’une nouvelle société. Françoise-Hélène Jourda s’y attache dès les années 1980. Cette culture émergente en France est presque traditionnelle dans les pays de l’est de l’Europe comme l’Autriche, où elle enseigne l’architecture et le développement durable depuis plus de dix ans. Les multiples reconnaissances obtenues ces dernières années* saluent sa ténacité d’architecte éco-responsable, un engagement qui n’a jamais cédé face au scepticisme confortable des politiques et de bon nombre de ses confrères. Vouloir, c’est pouvoir « Concevoir des bâtiments à énergie passive, voire positive, est absolument possible et très simple. Pas besoin de technologie sophistiquée ! » Jourda sait de quoi elle parle : entre le premier concours européen sur l’énergie solaire passive gagné en 1979 et son dernier immeuble de bureaux à énergie positive « éNergie zérO » à Saint-Denis, elle a toujours conçu ses projets selon une approche durable. Même si, dans la France des années 1980, l’esthétisme intéressait plus que l’environnemental et les économies d’énergie. Ce mépris de la construction écologique l’a conduite à se rapprocher des pays précurseurs en matière de minimisation des impacts sur les ressources – Allemagne, Suisse, Autriche – pour tout apprendre en même temps qu’eux. De cette époque pionnière, l’Académie de Herne-Sodingen reste l’empreinte la plus remarquable : huit années d’études et de chantier pour une serre en bois et verre de 13 000 mètres carrés, qui recouvre un ensemble de bâtiments et une végétation méditerranéenne profitant d’un micro-climat sous 10 000 mètres carrés de panneaux photovoltaïques. Le projet, considéré aujourd’hui encore comme précurseur, a reçu en 1999 le Prix solaire européen et le Prix de la construction en bois, son matériau de prédilection : « En France, on pourrait construire tous les bâtiments avec un minimum de 80 % de bois, sans aucune difficulté. C’est une ressource renouvelable, réutilisable, transformable, qui ne sera pas perdue pour les générations futures. » Elle constituera l’essentiel de la Halle Pajol, réhabilitation de l’ancienne halle des messageries de Paris en auberge de jeunesse, bibliothèque, salle de spectacles et jardins couverts. « C’est un projet manifeste et pilote, exemplaire dans la gestion des ressources : le sol, avec des jardins couverts ; les matériaux, recyclés ou en bois massif ; l’eau, avec récupération des eaux de pluie et traitement des eaux effluentes par phytoremédiation ; l’énergie et l’air, par la réduction des consommations et des émissions de gaz à effet de serre grâce à 3 500 mètres carrés de panneaux photovoltaïques qui en feront la première centrale solaire urbaine française en 2012, et un bâtiment positif au niveau énergétique. » Sans doute pas si simple, mais sans implication, les convictions ne fondent pas de nouvelle culture.
Se remettre en question
Selon F.-H. Jourda, « les vrais freins aux initiatives éco-responsables sont les intérêts économiques. De l’intendance des espaces verts municipaux à la répartition des richesses et à leur partage dans le monde, les enjeux économiques dominent toujours le problème vital de la biodiversité ». Pour autant, le surcoût dans la conception de bâtiments à faible empreinte environnementale ne justifie pas une architecture passéiste. Amorti d’autant plus vite que le coût des énergies traditionnelles augmente quand celui des énergies renouvelables baisse, il ne peut plus être un argument. Les serres du jardin botanique de Bordeaux, avec 750 mètres carrés de cellules photovoltaïques intégrées, ou le Centre technique de rugby à Marcoussis, témoignent ainsi d’une architecture contemporaine répondant intelligemment aux préoccupations environnementales : matériaux à faible énergie grise, intégration des bâtiments dans le paysage, dispositifs préservant la végétation et les biotopes du site. Le passage vers un nouveau mode de vie implique « une remise en question pour tout le monde, et plus particulièrement pour les architectes, parce qu’ils ont la force de proposition. Ils sont donc les premiers responsables et seront les premiers coupables, s’ils n’agissent pas d’urgence ». Il faut passer d’une architecture égotiste à une architecture où le bien-être de l’usager ne cède en rien à une logique écologique ; prendre en compte les réalités du contexte – ressources énergétiques, économiques, sociales, culturelles – pour réduire au maximum l’empreinte écologique des bâtiments, et envisager l’évolution des besoins futurs. « Ne pas laisser de cicatrices et faire un jour un bâtiment biodégradable » fait d’ailleurs partie de ses rêves !
Soigner la ville
Pour l’heure, F.-H. Jourda milite pour « un ravalement thermique à imposer de toute urgence aux bâtiments anciens ». Responsable de plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre, le secteur du bâtiment compte 96 % de constructions antérieures à la rupture technologique dans le neuf. Effective depuis les années 2000 et surtout le Grenelle de l’environnement, pour lequel F.-H. Jourda a rendu un rapport en 2007, la révolution dans les systèmes constructifs doit profiter à la rénovation du parc ancien. C’est aussi l’opportunité de « soigner la ville, qu’on peut comparer à un grand corps malade. Comme en acupuncture, il s’agit d’un équilibre global sur lequel il faut se pencher pour modifier les flux et les énergies. On peut intervenir en banlieue pour soigner le centre, ou l’inverse. Mais la densification par la mixité et la flexibilité des différentes fonctions urbaines est indispensable à la réduction des impacts environnementaux et énergétiques ». Un autre de ses rêves serait ainsi de « construire un morceau de ville sur la ville pour montrer qu’il est possible de transformer celles qui existent, au niveau social et environnemental, pour apporter du bonheur aux gens ». Car, en fin de compte, son combat pour une architecture durable est indissociable du rôle qu’elle donne à sa profession et qu’elle souhaite transmettre à ses étudiants : « La seule motivation véritable de l’architecte doit être “construire un monde meilleur”. Pour moi, le beau, c’est le sens. L’architecture devrait être une proposition, une vision du monde. » Après avoir reçu une dizaine de prix prestigieux, l’architecte a été récompensée en 2007 par le Global Award for sustainable architecture. En 2010, elle reçoit le Trophée des femmes en or, qui témoigne de l’influence de sa production sur un large public.