Rédigé par Raphaëlle Saint-Pierre | Publié le 23/04/2015
En 1866, rue des Francs-Bourgeois, l’architecte Edmond Allard construit un hôtel particulier et des ateliers pour la Société des cendres. Cette entreprise réunit des joailliers, bijoutiers et orfèvres du Marais dans une structure vouée à récupérer les métaux précieux contenus dans les résidus et poussières issus du travail des artisans. Il y a cinq ans, après avoir changé d’activité, la société déménage hors de Paris. Mais « l’image de la pelle dans le tas de charbon » est restée gravée dans la mémoire de son directeur général, Jean-Cyrille Boutmy. Il décide donc de conserver les bâtiments auxquels l’histoire de sa famille est liée depuis plusieurs générations, et de les restaurer pour révéler au public ce témoignage de l’identité du Marais. Propriétaire des marchés Paul-Bert et Serpette des Puces de Saint-Ouen, il a depuis son enfance la passion de donner une nouvelle vie aux objets et aux meubles. Avec ce projet, c’est tout un immeuble qu’il ressuscite !
Clarté et sobriété
« Lorsque je pénétrais pour la première fois dans l’hôtel particulier, j’étais loin d’imaginer ce qu’il dissimulait : une nef rythmée par les grandes fermes cintrées de la structure métallique et, au fond, une impressionnante cheminée en brique traversant une verrière. Sans parler de toutes les machines et de l’outillage encore sur place ! À l’effet de surprise spatial s’ajoutait celui du temps arrêté : la Société des cendres m’apparaissait telle une belle endormie », raconte Pierre Audat. Très vite, l’architecte propose à son client d’ajouter au programme un espace muséal autour de deux meules spectaculaires. Le plan de sauvegarde du Marais, initié par André Malraux dans les années 1960 et encore en vigueur au début de l’aventure, vise à détruire les ouvrages postérieurs au XVIIIe siècle situés dans les cœurs d’îlots en cas de changement d’activité. Il aurait donc dû frapper de démolition les trois quarts de l’usine. Mais, au regard de l’importance de ce rare patrimoine industriel subsistant dans le quartier et du projet d’ouverture au public par l’intermédiaire d’une boutique, les Bâtiments de France autorisent une procédure d’exception.
Les strates du passé
Au fil des soixante dernières années, les diverses constructions qui s’étaient greffées pour suivre l’évolution de l’usine avaient rendu les lieux labyrinthiques. Pierre Audat reconstitue patiemment les différentes séquences à partir des fragments de l’état originel trouvés sur le site et de gouaches illustrant la vie de la société. L’intervention la plus spectaculaire réside dans la restitution du volume entièrement ouvert de la nef. L’architecte et le propriétaire prennent alors le parti de perdre de la surface commerciale dans cet espace central pour retrouver l’idée originelle des mezzanines périphériques. Pierre Audat réétudie les circulations, tout en préservant l’axialité très forte dans laquelle il inscrit le nouvel escalier monumental, en acier peint et inox brossé, dont l’écriture sobre et fonctionnelle se conforme à l’histoire industrielle. C’est également dans cet esprit qu’il choisit des matériaux « premiers », non synthétiques : acier, verre, plâtre, béton, bois. Il sait aussi jouer avec la lumière naturelle : réinstallation de la verrière munie de doubles vitrages ; briques de verre insérées dans le sol de la cour pour l’éclairage zénithal du sous-sol ; planchers transparents qui dévoilent l’exposition au rez-de-chaussée de la nef.
Un écomusée
La logique de densification de Pierre Audat passe par l’amplification du volume par creusement de sous-sols. Deux zones patrimoniales y prennent place sur une centaine de mètres carrés, au milieu des présentoirs à vêtements. « Dans un premier temps, allant au-delà du simple relevé, j’ai souhaité effectuer un inventaire précis et dessiner les 160 objets usuels de la transformation des matières qui se trouvaient dans le bâtiment : fours, pelles, tamis, pinces, etc. », raconte l’architecte, également historien de l’art. Avec Sophia Boudou, il procède ensuite à une sélection et imagine la scénographie en restituant le contraste initial entre les matières brutes de l’outillage et la brillance de la faïence, valorisant l’ensemble par la lumière zénithale. Les pièces sont démontées et remontées, les moteurs des deux meules remis en place… et désormais, tout fonctionne à nouveau et revit à travers des films dévoilant l’ambiance des ateliers. Afin que le projet de boutique s’accorde avec l’objectif de préservation des lieux, Jean-Cyrille Boutmy et Pierre Audat pilotent l’équipe d’Uniqlo. Initialement peu sensible à une telle démarche, la marque a fini par s’y intéresser avant d’en faire un outil de communication.