« Sichr goht´s ! » signifie littéralement « Tout est possible » dans le dialecte du Vorarlberg, une petite région isolée à l'extrême ouest de l'Autriche.
Martin Rauch en a fait sa formule favorite. À tel point que ses employés ont imprimé cet aphorisme sur l'un de ses tee-shirts… c'est dire s'il lui colle à la peau ! Ce modeste céramiste autrichien est devenu le constructeur en terre le plus célèbre d'Europe. Sans jamais s'éloigner longtemps de Schlins, le petit village qui l'a vu grandir, Martin Rauch essaime depuis plus de 30 ans ses constructions en pisé à travers l'Europe centrale, et parfois jusqu'en Afrique du Sud, Arabie saoudite ou au Bangladesh. .. En collaboration avec quelques-uns des plus grands noms de l'architecture, il a remis au goût du jour cette technique millénaire longtemps délaissée, car souvent associée à l'image d'une architecture paysanne peu séduisante.
L'expertise du constructeur
On le retrouve cette fois à Darmstadt, en Allemagne, où a été inauguré l'année dernière le siège social d'Alnatura, une entreprise agroalimentaire spécialisée dans l'alimentation biologique. Conçus par l'agence Haas cook zemmrich STUDIO2050, les bureaux en open space sont nichés dans une halle de 95 mètres de long, sur trois niveaux percés d'un atrium. Fondé sur des principes bioclimatiques, le bâtiment bénéficie d'une ventilation naturelle hybride, d'un système de chauffage/refroidissement par puits canadien, complété par un chauffage basse température géothermique. Côté matériaux : les poteaux et dalles de planchers ont été réalisés en béton brut, la charpente et les menuiseries en bois et les murs de façades en pisé.
Pour la construction de ces 1 550 mètres carrés de façades autoportantes et l'ingénierie technique qu'elle sous-tend, les architectes ont sollicité Lehm Ton Erde - que l'on pourrait traduire par Glaise, Argile, Terre -, l'entreprise de Martin Rauch. Afin d'optimiser les coûts et la durée de chantier, les murs ont été préfabriqués par blocs directement sur site, dans un ancien baraquement de l'armée américaine. Prélevée sur des chantiers d'excavation dans les régions voisines, la terre - composée de gravier, sable, limon, et à faible teneur en argile - est acheminée jusqu'au hangar. Elle est alors amendée avec un supplément d'argile, humidifiée, puis mélangée. De là, la machine automatique - inventée par Martin Rauch lors d'un précédent projet - vient déverser le mélange dans un coffrage de 40 mètres de long, puis le comprime grâce à ses fouloirs pneumatiques. Par passages successifs, le mur s'élève, 10 centimètres par 10 centimètres. Une fois la taille requise atteinte, le mur est décoffré et une grande scie circulaire le découpe en différents blocs. Ces blocs de 3 mètres de long par 1 mètre de haut sont alors stockés en attendant les trois à quatre semaines de séchage nécessaires. À l'issue de cette période, ils sont amenés sur le chantier et assemblés au mortier à la chaux, posés les uns sur les autres et connectés au nez des dalles de planchers. Enfin, les joints sont retouchés à la main, à l'aide d'un peu terre humide enfoncée au maillet.
Une érosion contrôlée
Afin de conserver la beauté et les caractéristiques intrinsèques du pisé, les murs ne sont pas enduits ni recouverts de bardage et autres membranes de protection superflues. Martin Rauch refuse aussi les grands débords de toitures - rappelant les origines rurales et pauvres du pisé -, mais il assume l'érosion naturelle des façades qu'il bâtit.
Sous l'action du vent et de la pluie, la couche superficielle d'argile va se désagréger au fil des années, mettant à nu les graviers contenus dans la paroi. Pour limiter l'action du temps, il dispose dans les murs, toutes les cinq strates de terre, une fine couche de mortier de chaux. Agissant comme des dos-d'âne, ils limitent la vitesse de ruissellement de l'eau de pluie sur la façade et, par là même, la dégradation du mur. L'érosion s'arrête, en général, après avoir emporté les 2 premiers centimètres d'argile. Martin Rauch appelle cela « l'érosion contrôlée ».
Rien n'est impossible
Les architectes du projet souhaitaient isoler les murs de façades tout en laissant le pisé apparent sur les deux faces : ce qui semble a priori techniquement impossible. Mais il n'en est rien pour Martin Rauch, qui, après plusieurs expérimentations, a mis au point une technique d'isolation intégrée : du gravier à la mousse de verre recyclé incorporé en couche verticale au cœur des blocs préfabriqués. Sa composition moléculaire permet à la fois une isolation et une bonne cohésion avec la terre lorsque ces gravats sont compactés. Par ailleurs, Lehm Ton Erde a eu l'idée d'introduire, entre l'isolation et la face intérieure du mur, un système de tubes alimentés par le chauffage géothermique, enrayant ainsi le phénomène de parois froides.
Martin Rauch repousse sans cesse les limites du pisé, mais toujours dans le respect de ce matériau naturel ; ainsi, chaque projet est l'occasion d'une nouvelle expérimentation. « Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées », écrivait André Gide… et ce n'est pas Martin Rauch qui le contredira !
⇒ Lire l'entretien avec le constructeur Martin Rauch
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