Rédigé par Manon Molins, la Fing | Publié le 17/01/2018
En septembre 2017, l'ouragan Irma frappe Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Le collectif Hackers against natural disasters se mobilise alors pour lancer une opération massive de cartographie bénévole via OpenStreetMap (OSM), permettant une meilleure coordination des secours et fournissant des informations précieuses pour les sinistrés. Action de réponses aux catastrophes naturelles ou aux crises climatiques, actions d'atténuation, actions d'adaptation : et si les dispositifs numériques s'avéraient utiles pour outiller et renforcer les dynamiques locales de transition environnementale, les aider à se relier, faciliter la participation et l'efficacité ?
Transitions 2, le projet collectif de la Fing visant à mettre le numérique au service de la transition écologique, souhaite mettre l'accent sur la question des territoires avec le défi Agirlocal et l'élaboration d'un kit collaboratif. Ce dernier partage la connaissance d'expériences locales dans différents domaines environnementaux (énergie, mobilité, économie circulaire et obsolescence, proximité ou encore biodiversité et nature) et donne également des clés pour que les territoires construisent des démarches Agirlocal.
Est-il nécessaire de préciser que le numérique n'est pas « au service » de la nature ? Le vivant n'a pas besoin des technologies pour exister - elles ont d'ailleurs joué leur rôle dans son altération, et nous ne devons pas négliger l'empreinte écologique du numérique. Mais ce raccourci nous permet d'envisager le numérique au service des hommes désireux de protéger leur environnement naturel et de l'exploiter durablement. Le numérique fait monter en compétences les citoyens, leur place est au cœur du travail engagé sur les territoires : sciences citoyennes, open data, projets collaboratifs, civitech, DIY (do it your-self) et lieux d'innovation sont autant d'apports aux stratégies des territoires et au développement de l'écocitoyenneté.
MIEUX COMPRENDRE NOTRE ENVIRONNEMENT NATUREL POUR AGIR
Alors que les inventaires biologiques ont toujours joué un rôle central dans la compréhension et la protection de la nature, la dématérialisation et le partage de la connaissance naturaliste s'accroissent. La loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages (2016) implique que les données issues des études d'impact réalisées soient dorénavant déversées dans l'Inventaire national du patrimoine naturel, afin d'enrichir l'offre publique d'open data. Selon certaines organisations, ce libre accès est à double tranchant : cela met en danger des espèces exposées, mais permet en même temps aux associations de plaider pour leur préservation. À l'ère numérique, ce rôle d'observation, de classification et de production de données sur la nature et l'environnement est de plus en plus distribué. Les pouvoirs publics s'appuient sur l'expansion des méthodologies participatives et collaboratives en les soutenant parfois financièrement et opérationnellement, comme avec le programme 65 millions d'observateurs dont le lancement est prévu en 2018. Il s'agit d'un portail du Muséum national d'histoire naturelle qui met en ligne une encyclopédie interactive, un système d'analyse collaborative des données et un outil de reconnaissance automatique d'espèces. Lorsque professionnels ou amateurs mettent leurs compétences de naturalistes au service de la collectivité, cela permet d'enrichir considérablement la connaissance commune, de la mobiliser et de la mettre en débat.
Si les pratiques citoyennes des sciences sont essentielles, l'offre d'open data des pouvoirs publics en matière d'indicateurs et de données sur l'environnement n'est pas en reste, comme le montre l'outil Eider, un « entrepôt d'indicateurs et de données sur l'environnement ». Régions, villes ou métropoles proposent des portails d'informations, de cartographies, de données, de tableaux de bord, qui permettent aux parties prenantes de s'informer sur des enjeux environnementaux majeurs, propres à leur territoire. Les dispositifs numériques sont également prégnants pour étudier et gérer des écosystèmes locaux, de manière ouverte ou non, comme les systèmes d'information géographique ou encore la suite logicielle gratuite I-Tree, qui permet de comprendre et de mesurer les bénéfices des arbres en milieu urbain. D'autres types de données, moins « officielles » ont également un rôle à jouer. Les données « crowdsourcées » qui utilisent le savoir-faire d'un grand nombre de personnes font partie des outils de participation : Plume labs, par exemple, se concentre sur la qualité de l'air, regroupant les données de 11 000 stations dans le monde pour fournir une météo de la pollution dans plus de 200 villes et des prévisions sur les 24 heures à venir. L'objectif est de créer de la connaissance commune, qui sert dans le cas de politiques publiques, mais également à équiper les citoyens de capteurs pour cartographier la pollution autour d'eux pour comprendre, suivre et réduire leur exposition personnelle aux principaux polluants.
À l'objectif scientifique de création de connaissance s'ajoutent des objectifs pédagogiques, de sensibilisation et/ou d'appropriation, comme dans les dispositifs cités plus haut ou avec l'utilisation de serious games, des applications informatiques ludiques telles que Ecosysgame; ou encore avec la mise en place de dispositifs physiques comme l'Infolab consacré à la biodiversité du grand parc Miribel-Jonage à Lyon, qui permet la tenue d'un espace citoyen collaboratif destiné à la compréhension, la manipulation et l'exploration des données du parc. Les bases de données servent également à entreprendre des actions militantes : plaidoyers s'appuyant sur les données ouvertes et moins ouvertes ; lutte contre les polluants et les espèces génératrices d'allergies ; ou encore création de systèmes d'alerte comme les smartphones de Rainforest Connection, recyclés en microphones de surveillance pour arrêter.
S'INSPIRER DE LA NATURE ET LA PROTÉGER
Les applications que l'on peut tirer des données sont donc multiples et permettent d'agir au niveau local pour la protection de l'environnement naturel. Le numérique peut également être utile aux actions d'adaptation - qui visent à anticiper et limiter les dégâts liés au changement climatique : sécheresse, contamination des sols et de l'eau, ou encore catastrophes sur les territoires à risques - avec par exemple des systèmes d'alerte via des capteurs signalant des feux de forêt ou encore le controversé mais massivement utilisé Safety Check - qui permet aux utilisateurs de Facebook d'indiquer sur leurs réseaux s'ils sont en sécurité. À la suite du hackathon sur la biodiversité, en novembre 2016 s'est tenu le Hackrisques, organisé par le ministère de l'Environnement pour « développer des dispositifs de prévention et de gestion des risques à même d'améliorer la diffusion de l'information avant, pendant et après la survenue d'une catastrophe naturelle ».
Dans un autre registre, l'économie collaborative, renforcée par le numérique, a son rôle à jouer. Les outils numériques collaboratifs permettent de déployer des démarches de trocs, d'échanges locaux de ressources. Graines de troc est une plateforme en ligne où chacun peut proposer et échanger ses graines, en constituant tous ensemble une collection commune.
Autre forme possible de l'aide au maintien de la biodiversité : les plateformes de financement participatif qui permettent aux citoyens ou associations de se lancer dans des projets environnementaux. Le projet Graines de vie (mouvement citoyen pour la sauvegarde des variétés potagères et fruitières) a été financé à son lancement grâce à une campagne de crowdfunding sur Kisskissbankbank.
« Biomimétisme », « bionanotechnologie », « biotech », la science s’inspire du vivant, d’où l’important enjeu de protection de la biodiversité, car c’est en elle que nous puisons les innovations qui nous détacheront peut-être un jour des énergies fossiles. Glowee est un système de lumière biologique utilisant les propriétés naturelles bioluminescentes d’organismes marins. Lieux privilégiés de conception et de fabrication de ce type d’innovations, les fablab, biofablab, greenfablab essaiment, et les projets environnementaux qui y sont initiés ne sont pas anodins. Si ces lieux citoyens d’innovation sont trop souvent réservés aux porteurs de projets qui ont déjà les compétences pour se lancer, ils permettent l’émergence d’initiatives ancrées sur un territoire, qui ont parfois une ambition universelle. En Europe, le projet Open Source Beehives, développé au sein du fablab Barcelona, se veut être un réseau de citoyens luttant contre le déclin du nombre d’abeilles par la fabrication de ruches faites maison, connectées et en open source.
UNE GOUVERNANCE AU SERVICE DE LA NATURE
La multiplication des initiatives est un bon signe. Mais comment peuvent-elles faire système ? Comment peuvent-elles s'articuler ? La question de la gouvernance des ressources alors que la nature est au cœur de puissants intérêts économiques est inévitable. Les convergences entre « communs de la nature » et « communs numériques » (communs de la connaissance, logiciels, réseau Internet) vont croissant et peuvent offrir des pistes. La notion de « communs » désigne un ensemble de ressources qui n'ont pas vocation à être privatisées ni détruites et dont la préservation est l'affaire de tous.
Les communs reposent sur la vision d'une communauté d'acteurs qui s'organisent pour prendre en charge la ressource dont ils dépendent (eau, terres cultivées, forêts… ) et éviter sa surexploitation. Si les communautés gérant des communs matériels de type ressources naturelles peuvent être outillées par le numérique (pour s'organiser via des réseaux locaux, des plateformes, ou encore suivre l'évolution du commun avec des données sur la qualité de l'eau, des sols… ), les communs dématérialisés ont également leur rôle à jouer dans la protection de la nature.
Les territoires doivent faire face à des enjeux environnementaux forts - et mettent en place des stratégies de protection de la biodiversité, de lutte contre la dégradation de la qualité de l'air (incitation au télétravail, aux mobilités douces… ), où le numérique occupe une place de choix. Mais si ces stratégies environnementales peuvent bénéficier du numérique, elles doivent inclure les parties prenantes du territoire et permettre aux acteurs de se mettre en réseau.
Article paru dans EcologiK 56 : Villes intelligentes...et durables ? (déc-janv-fév 2017/2018)