L'insertion du tramway au sein des agglomérations françaises est rapidement devenue un symbole puissant de la modernité, dépassant la seule fonction de transport en s'accompagnant d'une restructuration territoriale. La particularité affichée d'une requalification urbaine par le tramway représente la qualité même du « tramway à la française » et la raison majeure de son succès. Les photographies de la place Masséna à Nice et du cours Belsunce à Marseille illustrent bien cette quête de lieux urbains très soignés que son arrivée permet. Ce modèle devient « une vitrine à l'étranger », en particulier auprès des pays méditerranéens voisins (Espagne, Maroc, Algérie). Au-delà de ces enjeux urbains, le tramway s'inscrit au cœur de préoccupations d'attractivité et de promotion touristique et peut même être considéré comme une sorte d'entité culturelle en soi. Ainsi, la Ville de Tours corrobore cette volonté de valoriser l'art urbain, traitant le tram comme une œuvre et un composant essentiel du paysage citadin. Il constitue également un vecteur de plus-value foncière : des études immobilières établissent une forte corrélation entre sa présence et l'augmentation des prix du foncier tout au long de sa ligne. Une étude menée sur 25 agglomérations françaises souligne aussi l'existence de nombreux « effets urbains significatifs » du tramway, tant sur le système économique de transport que sur la structure économique générale, l'organisation sociale et les écosystèmes.
IMPACT ENVIRONNEMENTAL
D'un point de vue énergétique, le tramway (à quantité égale de voyageurs par kilomètre) est plus économe que la voiture individuelle et que le bus. En limitant la circulation automobile sur les axes qu'il emprunte, il réduit également la pollution atmosphérique de proximité le long de la ligne (en terme de monoxyde de carbone et de dioxydes d'azote). En outre, après sa mise en service, une hausse de la fréquentation du transport public peut être observée au sein d'une majorité d'agglomérations : sur un panel de 14 agglomérations concernées, l'évolution de la fréquentation croît en moyenne d'un facteur quatre - de 4,8 % à 18,3 % - et la part modale de la voiture semble en récente diminution, selon les données des dernières enquêtes ménages déplacements (CERTU), notamment pour Bordeaux et Nice.
Néanmoins, comme le note Michel Carmona*, « à l'analyse, les aspects écologiques se révèlent bien plus complexes que le discours convenu habituel ne veut le laisser croire ». Le bilan carbone global de l'insertion du tramway, à une échelle plus générale de l'agglomération, peut être en effet mis en question. À cette échelle, de nombreux paramètres entrent en jeu tels que les émissions induites par l'acheminement de l'électricité, la construction, le fonctionnement et l'entretien, mais il convient de s'intéresser principalement à l’évolution des rejets de CO2 liée à la modification du système de déplacements due à l'implantation du tramway. Une étude de Prud'homme, Koning et Kopp* en 2011, portant sur les coûts et bénéfices du remplacement d'une ligne de bus par le tramway sur les boulevards des Maréchaux à Paris, montre un report important du trafic routier sur le périphérique et une hausse des rejets de CO2 sur ces axes de la ville de Paris. Selon l'étude, cette augmentation est particulièrement liée aux changements d'itinéraires allongeant les trajets automobiles et aggravant la congestion des voies périurbaines. Au total, malgré une économie de rejets de CO2 permise par le remplacement des bus (1 065 tonnes par an) et la suppression de circulation motorisée (709 tonnes par an) sur l'axe emprunté par le tramway, le projet a engendré une augmentation des rejets de plus de 3000 tonnes de CO2 par an du fait du report du trafic à l'échelle de l'agglomération. De tels résultats peuvent être interprétés en référence à d'autres études, comme celle de Reigner et Hernandez* en 2007, qui mettent en évidence une sorte de modèle générique d'organisation des déplacements dans la ville attractive, où des objectifs apparemment contradictoires (de qualité urbaine et de connectivité impliquant l'accueil de flux de circulation) cohabitent dans un partage territorial entre centre-ville et périphérie ; cette dernière devenant en quelque sorte le déversoir des circulations et des pollutions écartées des espaces urbains apaisés. Le tramway correspond à ces intentions, tout en étant pensé dans un contexte de compétition interterritoriale valorisant l'attractivité des villes.
MOINS DE VOITURES ?
On peut également s'intéresser à la question plus spécifique du report modal de la voiture particulière vers les transports collectifs par suite de la mise en service de lignes de tramway. Ce report est un élément important de l'évaluation du bilan carbone d'un projet de tramway, car il reflète sa capacité à transférer un nombre significatif d'automobilistes vers un mode de transport moins émetteur de CO2. Néanmoins, ce transfert modal ne semble pas évident. En effet, selon l'enquête de Prud'homme, Koning et Kopp déjà citée, menée sur un échantillon de 1 000 personnes, le report modal depuis la voiture particulière reste faible, ne représentant que 2 à 3 % des usagers du tramway. Les automobilistes n'ont donc guère changé leurs habitudes suite à l'installation du tramway, si ce n'est en ce qui concerne leur choix d'itinéraire. Par ailleurs, Patrick Frenay* constate en 2004 que, malgré une hausse de la fréquentation du transport collectif dans les villes ayant établi un tramway, des différences de parts modales sont visibles par rapport aux villes alémaniques ayant maintenu et modernisé leurs trams. Selon cet auteur, les plus fortes parts modales pour les transports en commun au sein de ces villes sont liées au fait qu'« en France, on valorisera la combinaison de la voiture particulière et du tramway ; en Suisse et en Allemagne, on préfère plutôt la conjugaison entre divers transports collectifs ». À ce sujet, les parcs relais en France, présentés comme un outil favorable à un report partiel des déplacements automobiles vers les transports publics, tendent à favoriser plutôt la simple cohabitation ou la redistribution spatiale des modes de déplacement.
Ces diverses études et débats relatifs à l'impact environnemental du tramway soulignent l'importance du chemin qu'il reste à parcourir pour parvenir à un système de transports vertueux en termes environnementaux. Pour Jacques Stambouli*, passer de la ville-automobile à la ville-écologique ne repose pas sur le seul tramway. En outre, d'autres choix techniques en matière de tram peuvent également avoir leur pertinence quant aux coûts, financier et énergétique. L'étude comparative du tramway sur rails et sur pneus réalisée par Michel Carmona a mis en évidence (en considérant aussi tout le « cycle de vie » de ce moyen de transport incluant la fabrication des rames et des infrastructures) que « les pollutions et l'envahissement d'automobiles seraient mieux combattus par des solutions diversifiées utilisant le trolleybus, ou tramway sur pneus, de façon intensive et créant, à budget égal, davantage de sites propres ». Il faudrait certainement l'actualiser, car la dépense d'énergie requise par la fabrication des rails a baissé en quelques années. Néanmoins, le tram sur pneus, comme sur rails, génère une plus grande habitabilité des lieux urbains et offre aux passagers, non seulement un incontestable confort de circulation, mais aussi une vue sans cesse renouvelée sur leur ville.
Article paru dans Ecologik 53 : Écomobilités ( mars-avril-mai 2017 )
⇒ *LECTURES
♦ Carmona Michel, Tramway, le coût d'une mode , Paradigme, 2001.
♦ Prud'homme Rémy, Koning Martin, Kopp Pierre, « Substituting a tramway to a bus line in Paris: Costs and benefits », Transport Policy , Elsevier, 2011. Reigner Hélène, Hernandez Frédérique, « Les projets des agglomérations en matière de transport : représentations, projets, conflits et stratégie de “détournement” des réseaux », Flux no 69 (Politiques de déplacements et planification territoriale), Métropolis, 2007.
♦ Frenay Patrick, « Le tram, outil en faveur d'une ville durable ? Réflexions tirées d'une comparaison entre quelques villes moyennes françaises et alémaniques », TEC n° 185, 2005.
♦ Stambouli Jacques, « Les territoires du tramway moderne : de la ligne à la ville durable », Développement durable et territoires.
Économie, géographie, politique, droit, sociologie , Dossier 4 : La ville et l'enjeu du développement durable (developpementdurable.revues.org/3579), 2005.
♦ Laisney François, Atlas du tramway dans les villes françaises , éditions Recherches, 2011.