Rédigé par Delphine Baldé, Agence François Leclercq | Publié le 18/07/2018
Entre un boulevard urbain et le périphérique lillois, Euralille 2 partage avec son homologue parisien non seulement le même passé industriel propre aux périphéries, mais également une stratégie similaire pour renforcer le rôle de la nature en ville, et tout particulièrement en ville dense. Le Bois habité s’étend sur 15 hectares plantés de plus de 350 arbres hauts et arbustes pour 600 logements et 130 000 m² de bureaux, commerces, équipements et hôtels.
Une situation du proche et du lointain
Complémentaire de l’urbanisme triomphant et radical d’Euralille 1 de Rem Koolhaas, Euralille 2 avait pour objectif de faire le lien avec le territoire proche, de le rendre plus habitable, plus accessible. D’abord dédié à l’accueil de grands équipements métropolitains (le siège de la Région Nord-Pas-deCalais, la future extension de Lille Grand Palais…), le projet Euralille 2 devait requalifier la frange sud de la ville, les quartiers Saint-Sauveur et la porte de Valenciennes, en proposant une forme nouvelle d’habitat métropolitain.
Le Bois habité a été conçu pour être le cœur géographique du projet. À la fois très proche de la gare Lille-Flandres et très loin des aménités, l’ancien site de la Foire de Lille était enclavé, aride et peu désirable.
Pour créer les conditions nécessaires d’accueil de nouveaux habitants, une nouvelle symbiose entre la nature et la ville a été imaginée. Rapprocher le proche et le lointain est devenu le paradoxe fondateur de ce cœur habité.
En inversant les rapports de l’urbanisme classique et en laissant la végétation dominer, le projet pose les bases d’une organisation urbaine qui cherche à recréer les conditions d’un sous-bois. À la rue classique circulée a été préférée l’allée plantée, réservée à la circulation piétonne, en référence aux grandes allées forestières. De même, pour échapper à la différenciation classique entre le côté rue et le côté jardin, les espaces privés et publics ont reçu la même qualité de variétés d’arbres et de végétaux. Cette volonté de mettre en place une relation plus hybride entre l’urbain et la nature est également prolongée par des plantations d’arbres aléatoires et de graminées, des jardins ouverts, et des limites entre le public et le privé moins marquées.
Une image mentale pour habiter autrement
Le projet est une opération mixte aux ambitions architecturales, sociales et environnementales marquées par la recherche de la diversité. À partir d’une proposition urbaine élaborée collectivement par l’architecteurbaniste, le paysagiste et les ingénieurs, chaque architecte a interprété le Bois habité comme un thème musical qui se décline avec ses propres accords : l’écorce, le feuillage, le vert, etc. La seule règle commune a été de concevoir des logements qui disposent de larges extensions vers l’extérieur pour favoriser les liens avec le paysage grâce aux jardins privés, aux terrasses généreuses et aux balcons. Chaque allée plantée dessert différents types d’habitat : petits collectifs, intermédiaires, maisons de ville.
La hauteur des bâtiments du cœur du Bois habité est limitée à trois étages pour que la skyline soit véritablement dessinée par les arbres et non par les toitures : le bois devient l’horizon pour chaque logement.
Habiter le bois c’est aussi bénéficier du calme d’un espace de nature. Les nuisances du périphérique et du boulevard Hoover sont réduites par les immeubles de plus grande hauteur en lisière du projet. L’imaginaire du lieu doit ainsi autant à la force d’une appellation qu’au souci constant du confort des logements et de l’aménité des aménagements. La simplicité même d’un concept appropriable par tous conditionnait la réussite du projet.
Un nouveau mode d’habiter
La réussite du projet n’aurait été que partielle sans une dimension sociale. Élaboré dans les années 2000, le projet est contemporain de l’émergence des aspirations des citadins à vivre davantage en lien avec la nature, voire à jardiner eux-mêmes – les grandes métropoles françaises prenant alors exemple sur Bruxelles et Montréal.
Plusieurs expériences avaient montré les vertus de la végétalisation de la ville, non seulement pour la biodiversité, mais également en tant que levier incontestable pour l’appropriation d’un nouveau quartier par ses habitants et usagers. Le Bois habité a ainsi rassemblé ses hôtes autour de ce nouveau mode d’habiter.
Une association Bois d’Êtres s’est constituée pour relayer les besoins des habitants et organise chaque année différents événements dans les allées plantées, comme la Fête des voisins. Ces allées sont des espaces de jeux ludiques et sécurisés pour les enfants, puisque sans voiture. Une décennie s’est écoulée depuis l’installation des premiers habitants. Rançon du succès, les attentes pour disposer de plus d’espaces de création collective et d’échange des savoirs ne cessent de croître… Ces aspirations pourraient amener à penser une nouvelle évolution du quartier avec la transformation d’espaces à proximité, voire avec l’extension du Bois habité plus loin encore.
Article paru dans Ecologik 58 : Confort et éconoomie, les vertus du bois
⇒ Lire « La forêt linéaire de la ZAC Claude-Bernard à Paris »