De glissade en glissade le long du Rhin et de ses canaux, l’urbanisation strasbourgeoise se dote au sud d’une nouvelle porte, calme et sauvage. On en oublierait presque les grues et les 38 000 mètres carrés de programme mixte en construction de ce nouveau quartier. Immeubles d’habitation, hôtel et Caisse d’allocations familiales y ont vue sur le canal, tandis qu’à deux pas le chantier du nouvel hôpital se termine au cœur des frondaisons. Au centre, entre terre et eau, le parc du Heyritz étire 8 hectares de nature repris à la friche, ex-méli-mélo de glacis militaire et de zone industrielle. Un pêlemêle de broussailles et de hangars, vestiges d’une époque où France et Allemagne s’affrontaient, bien avant qu’il ne soit question d’agglomération transfrontalière, de métropole européenne… et de nature en ville. Si ces termes semblent aujourd’hui galvaudés, l’aménagement de l’atelier Villes & Paysages leur redonne sens. La tête dans les feuillages et les pieds dans l’eau, voilà à quoi rêvaient les habitants de l’endroit. « Pendant deux ans, les associations de quartier ont phosphoré sur l’avenir du lieu, raconte le paysagiste Emmanuel Moro. Deux choses revenaient sans cesse : le contact avec la rive et la préservation de la végétation en place. »
Acteur ou spectateur
Des bassins aux broussailles, l’espace tire le meilleur de l’existant. « Au départ, le parc n’était pas censé déborder sur les installations portuaires, précise Emmanuel Moro. Mais celles-ci nous semblant faire partie intégrante du lieu, nous avons décidé de ne pas arrêter l’aménagement à la berge. » La colonne vertébrale du projet est donc un ponton : 800 mètres d’un platelage de robinier, tendu en travers des bassins. « C’est une droite forte, lancée sur l’eau, qui joue un rôle à la fois esthétique et fonctionnel, analyse le paysagiste. Elle structure l’endroit dont le réseau de cheminements et les masses de végétation buissonnante, un peu floues, perdraient sinon en lisibilité. » Le parc du Heyritz permet ainsi de rallier le vieux Strasbourg, à pied ou à bicyclette, depuis les quartiers périphériques. Selon le parcours choisi, le passant se transforme en spectateur des jardins ou devient acteur de la plaine sportive et des aires de jeux. « La berge nord ne présente aucun traitement paysager particulier, mais elle génère toute la piste cyclable. » Les bruits de moteurs sont étouffés par la végétation. L’amoureux du vélo bénéficie donc d’une vue imprenable sur le parc, son ponton et ses espaces de rencontre, sans se douter qu’une pénétrante urbaine ultra-fréquentée trace, à 10 mètres de là, sa route vers Kehl.
Sans tabula rasa
Les auteurs du projet ont préservé la verdure au plus près de l’eau, sans tabula rasa : « Un cheminement secondaire s’immisce dans la partie arborée du parc. Nous l’avons ébauché progressivement, en affinant son plan au fur et à mesure. Et si la végétation a été désépaissie, nous y avons cependant gardé des arbres morts et des ronciers. » Le promeneur qui suit un axe d’est en ouest rencontrera sur son chemin miroir d’eau, jardins flottants et plaine sportive. « À Strasbourg, il s’agissait sans doute de la dernière zone de friche capable d’accueillir un dispositif d’une telle ampleur, confirme le paysagiste, et même si elle se trouve à l’extrémité de la ville, c’est en quelque sorte une nouvelle centralité. »
Charnière entre l’ancien et le nouveau, l’espace inauguré fin août 2014 semble bel et bien adopté par les Strasbourgeois. « La fréquentation, en particulier pendant la pause déjeuner, est assez surprenante », conclut Emmanuel Moro. Si l’endroit attire bien des visiteurs, la verdure fait aussi le bonheur des riverains. Avec un couvert arboré jouant les prolongations au travers des immeubles neufs, le parc du Heyritz devrait faire du quartier fraîchement sorti de terre un espace en vogue de l’euro-métropole. Pour preuve : tous les appartements auraient déjà trouvé preneurs !