Cette édition s'est déclinée en trois volets faisant état des recherches en matière de design pour prendre soin (Handle with Care), de design pour tous, adapté, participatif, ouvert et accessible (Design for (every)one), et des nouvelles pratiques architecturales lors de conditions de vie précaires (Precarious, Architecture & Design). Commissaire du volet Design & Soin, Nawal Bakouri est membre fondatrice et coordinatrice de la plateforme Socialdesign, qui « recense, promeut et tente de décloisonner entre elles les pratiques de ces concepteurs d'innovation sociale et culturelle ».
Handle with Care met en évidence non pas des solutions pour améliorer la pratique de l'acte médical, mais des possibilités d'intégrer le handicap à un projet de vie, en créant des objets adaptés, participant au sentiment d'autonomie et de liberté d'expression, physique et corporelle, des personnes en fragilité. Loin d'un objectif normatif-performatif au risque d'être mis au rebut, ces propositions ont vocation d'accompagner, de prendre soin, de « déployer les capacités, plutôt que de pallier les manques ».
En complément du premier, le deuxième volet, Design for (every)one, sous le commissariat de Lieven De Couvreur, fait état d'une intelligentsia (laboratoire) regroupant concepteurs, soigneurs et personnes porteuses d'un handicap s'appliquant à créer des outils d'assistance à échelle locale offerts par l'open design et répondant aux besoins de chacun(e). Cette méthode participative et inclusive permet de valoriser la multiplicité (variable) du potentiel humain en bousculant et déplaçant les normes, tout en reconsidérant les ressources existantes, amenant vers un design chargé d'histoires.
Ludovic Duhem, philosophe et responsable de la recherche à l'École Supérieure d'Art et de Design (Esad) d'Orléans et de Valenciennes, évoque le besoin de retourner à la poésie, de réintroduire la notion de récit pour ne plus être au service de la consommation ; une poésie qui, gardienne de l'ordre moral contre les loisirs (negocio vs ocio) à l'Antiquité, est assimilée aujourd'hui à l'oisiveté. Le temps de la transition est dépassé, la rupture inévitable et indispensable. Le design se doit de (re)devenir une attitude qui consiste à produire de la fête, de l' event . De la joie contre le consumérisme. Mais la tâche n'est pas une seule partie de plaisir, le designer n'étant pas un animateur : il se doit d'insuffler l'éphémère, puis d'en donner les codes pour que l'usager se l'approprie, le prolonge ou le reproduise à sa guise, invitant le designer à s'assurer régulièrement de la transmission, de ce qu'il en advient.
L'autre écueil est d'éviter la récupération d'un design écosocial devenu à la mode, que pourraient exploiter les institutions commanditaires.
Aux appels à projet, le designer n'a d'autres choix que d'y répondre par la confrontation, forme quasi obsolète et peu durable à terme, ou par la stratégie : s'imposer puis proposer. Mais comment réussir à proposer de l'impermanence qui ne se vend pas ? Comment aussi se faire rémunérer pour de l'immanence dont le seul bénéfice sera le plaisir des sens et l'accroissement des sensations, juste se sentir plus vivant sans nécessité de dépenser à tout prix ? Voici ce qu'enseigne Ludovic Duhem, une autre manière de faire du design, convoquant les anciens au passage - Kroll, Illich, Papanek -, car c'est d'eux aussi dont nous avons besoin aujourd'hui.
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