À chaque projet, l'Atelier Boteko - composé de Léa Casteigt et Alessandro Baiguera - préfère révéler les potentialités d'un lieu plutôt que d'imposer sa patte avec force. Dans la campagne bordelaise, les architectes n'ont pas dérogé à leur philosophie. Avec justesse et déférence, ils ont répondu à une commande plus complexe qu'il n'y paraît. Âgés d'une soixantaine d'années, les propriétaires vivent à Bordeaux durant la semaine et s'échappent au vert le week-end. Trentenaires, leurs trois enfants les rejoignent de temps à autre.
Cette histoire familiale va édicter la contrainte première du projet : la maison doit fonctionner occasionnellement pour une dizaine de personnes mais le plus souvent pour deux, sans avoir à ouvrir et chauffer la totalité du volume toute l'année.
Les clients possédaient déjà une habitation dans la région, mais les terrains voisinant cette première propriété étant devenus constructibles, ils partent en quête d'une nouvelle résidence secondaire avec l'exigence d'un vaste terrain.
Leur recherche se concrétise à Aillas, petite commune située à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Bordeaux. Le propriétaire est particulièrement attaché à ce village puisqu'il y est né. Totalement isolée, la ferme, en mauvais état, se trouve au milieu d'un terrain de 28 hectares occupé par des champs cultivés et un grand bois en contrebas. « Ils ont plus été séduits par le site que la maison, explique Léa Casteigt. Trouver dans la région ce type de bien, aussi sauvage et préservé, est très difficile. »
DEUX AILES, DEUX SAISONS
En guise de préalable, les architectes décident de démolir quelques éléments inutiles : une soue à cochons, un auvent pour abriter les véhicules, un débord de toiture sur la façade principale. La ferme renoue ainsi avec une forme simple et épurée qui fonctionne selon une logique agricole traditionnelle : pièces de vie au sud, bêtes et foin au nord,stockage du matériel et espace de travail au centre.
Respectant la trame de la bâtisse existante, la maison s'organise maintenant en deux ailes : une au sud qui comprend la configuration hivernale réduite a minima pour le couple (salon, salle à manger, cuisine et chambre), l'autre au nord (atelier, espace libre d'été en mezzanine, chambres) lorsque la famille est réunie.
Traités comme un espace semi-extérieur, pourvu d'une belle hauteur sous plafond, le grand volume de l'atelier non chauffé est utilisé aux beaux jours. Pour relier ces deux ailes, un large couloir de 3,80 mètres réalisé en peuplier mène aux chambres situées dans l'ancienne étable qui, elles, ont la possibilité d'être chauffées. Plus qu'un passage, cet espace est utilisé comme un second salon, profitant de part et d'autre de vues sur l'extérieur. De nombreuses ouvertures ont ainsi été créées afin d'apporter de la lumière naturelle dans cette bâtisse auparavant très sombre. À l'ouest et au sud, des percements de 2,20 par 2,20 mètres reprennent le gabarit de la porte existante qui, située au nord, était destinée au passage des animaux.
« L'atelier s'inspire du “Boteko” qui évoque en portugais un espace extrêmement simple et convivial. De ces lieux très dépouillés, où chaque élément remplit une fonction bien précise, se dégage une atmosphère calme et paisible. Nous apprécions les constructions qui paraissent d'emblée claires et transparentes. » - Léa Casteigt et Alessandro Baiguera, architectes
À Aillas, les idées défendues par les architectes transparaissent avec évidence. L'âme de la maison est conservée à travers le patchwork de matières mais aussi sa trame fonctionnelle. L'identité agricole s'exprime également par les choix constructifs : « La structure de la construction est laissée apparente, les matériaux sont montrés à l'état brut : le béton coffré des nouvelles ouvertures, le peuplier de la nouvelle charpente, et des voliges de l'ensemble des cloisons, les chaînages en béton renforçant les murs, les briquettes et pierres des murs existants, les enduits à la chaux rebouchant les imperfections des murs anciens… » De cet habile mélange se dégage ainsi une atmosphère particulière, notamment dans le grand volume de l'atelier laissé brut et accessible par la grande double porte d'origine.
Sur le terrain, l'ancien séchoir à tabac doté de façades enduites de goudron est utilisé comme garage. Il dissimule la piscine conçue comme un abreuvoir en béton avec ses larges rebords. Son fond noir fonctionne comme un miroir et reflète l'environnement paysager. Si le bassin n'est pas totalement enterré, c'est aussi pour qu'il puisse être perçu par le troupeau de brebis qui passe chaque jour sur le terrain. Comme pour la maison, une manière délicate de respecter ce qui était déjà là.
TROIS QUESTIONS AUX ARCHITECTES DE L’ATELIER BOTEKO
⇒ Quel impact un projet de résidence secondaire entraîne sur la conception par rapport à une résidence principale ?
Le terme de résidence secondaire peut correspondre à des réalités très différentes : maison de campagne, cabanon d'été, chalet de montagne, retraite de week-end… ce sont autant de lieux de villégiature désignés de la même façon. Il est donc important que l'architecte et son maître d'ouvrage s'interrogent dès le début du projet sur le rôle spécifique de leur résidence secondaire car le quotidien et l'usage diffèrent selon ses propriétaires.
La fréquentation de la maison du projet d'Aillas, soumise au cycle de la vie familiale, a été déterminante dans la conception. La ferme ayant une capacité d'accueil importante devait répondre à deux modes de vie distincts : un usage régulier durant les week-ends par le couple et un usage plus sporadique par le reste de la famille pendant les périodes de vacances. Nous avons donc, en quelque sorte, appliqué le principe des poupées russes : une petite maison de week-end à l'intérieur d'une grande maison de vacances.
⇒ Quels éléments (structurels, techniques, réglementaires…) doivent être impérativement analysés avant de se lancer dans un tel projet de changement de destination ?
Un projet de rénovation lourde nécessite une analyse détaillée du bâtiment existant. L'architecte doit ainsi apporter son expertise quant à l'état d'une charpente, à la stabilité d'un mur en pierre ou d'un plancher, au dimensionnement des fondations, etc. Au terme de cette étude initiale, il définit rapidement la nécessité ou non de collaborer avec un ingénieur. Dans le cas de la restauration de la ferme, une importante reprise des murs en sous-œuvre a été nécessaire afin de pouvoir créer de nouvelles ouvertures sans fragiliser les structures existantes. Un ingénieur local a ainsi déterminé les différentes reprises structurelles à effectuer impérativement avant le démarrage du chantier.
⇒ Quels peuvent être les risques de ce type de projet de rénovation lourde ?
Une rénovation lourde induit des transformations importantes de l'existant et entraîne le risque de dénaturer la structure d'un lieu, d'effacer son histoire et l'atmosphère qui s'en dégage.
L'architecture d'un bâtiment rural est ancrée dans des savoir-faire aujourd'hui disparus. Révéler les qualités intrinsèques de la construction, quel que soit son nouvel usage, a été un des premiers objectifs du projet d'Aillas. Nous avons par exemple conservé et laissé apparente, dans la mesure du possible, la structure existante. Les matériaux (anciens et nouveaux) ont été révélés et conservés dans leur état brut : le béton coffré des nouvelles ouvertures, la nouvelle charpente en croûte de peuplier, les traces des chaînages de renfort ancrés dans les murs, les planches de peuplier des nouvelles cloisons… La perte d'usage d'un bâtiment traditionnel offre la possibilité de multiples rénovations contemporaines qui doivent, selon nous, être en continuité avec le lieu dans lequel elles s'inscrivent.