Rédigé par Jean-Philippe Hugron | Publié le 31/03/2020
L'Australie brûle. Des incendies démesurément grands font se répéter la tragédie des années 1974-1975. D'aucuns y voient les signes d'un changement climatique alarmant, mais le gouvernement australien semble volontairement fermer les yeux sur le sujet. En 2020, l'île-continent voit sortir de terre, 25 ans après la fondation du Passivhaus Institut de Darmstadt, en Allemagne, et dix ans après la création de The Australian Passive House Association, son premier bâtiment passif : une résidence de 150 logements pour étudiants dénommée Gillies Hall. Une construction exemplaire dont l'unicité ne manque pas d'étonner.
« Passivhaus est relativement nouveau en Australie », concède Simon Topliss.
Chef de projet chez Jackson Clements Burrows Architects - alias JCBA -, qui a conçu ce projet inédit, il explique cet avènement par une « prise de conscience croissante au sein du monde universitaire, mais aussi au sein des professionnels de l'architecture. Passivhaus offre des avantages significatifs par rapport aux normes de conception actuelles en Australie, telles que Greenstar [système de notation des performances environnementales des établissements scolaires, ndlr]. Il permettra notamment à l'université Monash de répondre plus efficacement à son objectif zéro carbone fixé à 2030 », décrit-il.
DÉFI À GRANDE ÉCHELLE
Cet intérêt récent pose cependant l'épineuse question du cadre normatif, ainsi que celle des capacités industrielles du pays à répondre aux déf is lancés par ce projet d'un genre nouveau. « Nous nous sommes confrontés à un marché très jeune. Les chaînes d'approvisionnement sont limitées, par exemple, pour les fenêtres et les portes certif iées Passivhaus, pour les installations mécaniques ou encore les membranes. Nous nous attaquions également à une échelle de projet encore inédite en Australie », précise Simon Topliss. De fait, les matériaux localement disponibles ne sont destinés qu'à une demande encore conf identielle de maisons individuelles. Il était donc impossible dans le temps imparti - 19 mois - de trouver tous les éléments nécessaires à la construction. « Les options en provenance de Chine étaient rares à ce moment-là et nous avons par conséquent dû nous tourner vers l'Europe. La plupart de nos composants principaux certifiés Passivhaus ont donc été importés », retrace-t-il. De quoi interroger sur la pertinence d'un label qui ne se concentre que sur une architecture achevée et omet tout un processus de construction… énergivore.
UN DESSIN ORIENTÉ PAR LE PASSIF
Néanmoins, avant de se frotter à cette diff iculté, l'agence JCBA a décidé d'appréhender le projet de manière différente. Elle s'est d'abord rapprochée d'un consultant Passivhaus afin d'étudier l'orientation, la forme et les options de protection solaire préalablement au travail de conception.
« C'est le dessin qui s'adapte aux principes passifs, et non l'inverse », souligne Simon Topliss.
Ensuite, l'agence s'est très tôt orientée vers une entreprise de construction. La disposition réglementaire Early Contractor Involvement sert à ce rapprochement. « Cette manière de travailler permet à tous les acteurs du projet de se familiariser avec les détails, mais aussi de réunir tous les fournisseurs autour de la table pour s'assurer du bon respect des objectifs environnementaux », indique l'architecte. Dans ce cadre, une réflexion a été menée sur la conception de l'enveloppe extérieure, sans oublier les aménagements intérieurs où la part belle est faite au bois lamellé-croisé. « C'était la meilleure solution. Il est à la fois robuste et bas carbone. En outre, ce choix donne à l'ensemble un surcroît de chaleur », ajoute Simon Topliss. Des brise-soleil ont été créés en façade. De couleur orange, ils rappellent la brique présente dans la plupart des constructions du campus. Et, si les logements sont parfaitement réalisés, l'agence s'est trouvée face à un problème inattendu : les frigos. En effet, les réfrigérateurs européens à haute eff icacité énergétique ne sont pas disponibles ou bien sont trop chers. Les modèles proposés en Australie, quant à eux, remettent en cause l'obtention du label Passivhaus. « Dans un esprit de compensation, nous avons eu besoin de mettre en œuvre plus de panneaux solaires », raconte l'architecte.
PREMIER PROJET D'UNE SÉRIE
Aujourd'hui, cette résidence pour étudiants est un modèle à l'échelle du pays. « C'est un projet pionnier, y compris pour notre pratique, en ce qui concerne l'utilisation du bois et le label passif », affirme Simon Topliss. JCBA travaille actuellement à un nouveau bâtiment de 600 lits, toujours à destination d'étudiants, mais cette fois-ci à partir de bois de construction massif. Pour ce qui concerne Passivhaus, Simon Topliss reconnaît quelques diff icultés. « Il est rare de trouver des détenteurs d'actifs, des sociétés d'aménagement foncier ou des promoteurs prêts à dépenser plus pour obtenir ce label, regrette-t-il. Nous voulons cependant être optimistes. Les discussions en Australie sont ouvertes et l'opinion change rapidement. Il est évident que les feux de brousse de ces derniers mois ont choqué et horrifié. Ils ont été un catalyseur dans la plupart des milieux. Nous avons désormais des clients très intéressés par ces idées. Je pense que nous allons ainsi assister à un changement important dès cette année et que les maîtrises d'ouvrage prendront, à l'avenir, conscience de leur responsabilité. » À la condition, peut-être, de prioriser des circuits plus courts.
⇒ Retrouvez l'article complet et d'autres projets dans le dossier Villes et climat d'Ecologik 65 : Performances et sobriété, la réponse passive
FICHE TECHNIQUE
Lieu : Monash University, Frankston, Australie
Programme : 150 logements pour étudiants
Maîrise d'ouvrage : Monash University
Maîtrise d'œuvre : Jackson Clements Burrows Architects
Bureaux d'études : AECOM (BET structure), Grün Consulting (paysage), Atelier Ten (consultant passif)
Surface : 6 500 m²
Calendrier : livraison février 2019
Mesures environnementales : Passive House Certified 2019