Propos de Célia Blauel, Adjointe à l'environnement et au développement durable de la Ville de Paris.
Qu'est-ce que pour vous une ville intelligente ?
J'ai toujours eu du mal avec ce terme de « ville intelligente », car à l'inverse qu'est-ce qu'une ville « non intelligente » ? Je préfère l'appellation de « ville durable », plus globale et moins liée aux solutions technologiques, aux éléments connectés ou interconnectés. La ville durable est, selon moi, une ville capable de s'adapter aux grands enjeux du XXIe siècle : au changement climatique, à la raréfaction des ressources naturelles, ainsi qu'à leurs effets sur les modèles socio-économiques et urbains. Je ne suis pas opposée aux aspects technologiques, mais l'enjeu porte également sur la façon dont nous parviendrons à créer des liens de solidarité pour réaliser une profonde transformation sociétale.
Est-ce pour vous une étape incontournable pour atteindre la durabilité des villes ?
Dans la ville intelligente, il y a de nombreuses actions à tenter, notamment autour des smart grids (réseaux électriques intelligents) et de la circulation de l'information. Je n'étais pas tellement convaincue au départ, mais les expériences que nous avons menées sont vraiment intéressantes, comme celle sur la gestion des réseaux à Batignolles, ou celle des data centers (centres de données) chauffant des équipements publics. Néanmoins, je continue de penser que la réponse n'est pas seulement technologique. Même Carlos Moreno, un scientifique spécialiste de la human smart city (ville intelligente et humaine) insistait encore récemment sur le fait que la ville doit être intelligente, durable, technologique, mais également solidaire, humaine et inclusive. De plus en plus d'acteurs travaillent sur ce sujet et sont convaincus qu'il faut intégrer cette dimension humaine, et j'y tiens, personnellement, beaucoup. C'est dans ce sens que nous avons repris le pilotage du réseau des Acteurs du Paris durable, un réseau citoyen datant de 2011. Le prochain plan Climat de la Ville de Paris sera parrainé par Rob Hopkins, un enseignant britannique auteur du Manuel de transition , afin d'orienter vers une dynamique particulière et de faire une place plus grande aux habitants. Aussi curieux que cela puisse paraître, c'est l'épisode des attentats qui m'a totalement convaincue. Il a montré à quel point les gens pouvaient se mobiliser ensemble pour créer du lien. Et c'est important, je pense, d'encourager les citoyens à des initiatives collectives. Je vois autour de moi de plus en plus de réseaux de solidarité se monter, comme autour de la réduction de la consommation d'électricité, ou encore celle des déchets. J'ai l'impression de revivre un peu la même période que celle des jardins partagés, il y a dix ans, où l'engouement portait alors sur un besoin de retour à la terre. Aujourd'hui, nous avons le désir d'un retour à la personne et aux autres. C'est certainement lié et renforcé par l'effet mégaconnecté de nos générations actuelles. Néanmoins, ce n'est pas la Ville qui pourra tout faire ni décider de ce qu'il faut faire. Nous pouvons aider au développement de petites étincelles qui prennent de-ci, de-là, mais dans la ville intelligente, il faudra que chacun se mette en mouvement pour devenir un acteur responsable.
Dans le cadre du plan stratégique « Ville intelligente et durable », quelles sont pour vous les actions prioritaires à mener ?
Un des sujets sur lesquels nous travaillons avec Jean-Louis Missika concerne l'énergie et porte sur la gestion des réseaux. Nous avons la chance d'avoir le plus grand réseau de chaleur urbaine de France et le plus grand réseau européen de froid urbain (70 km de tuyaux où circule une eau entre 2 et 4 degrés livrée aux hôtels, bureaux et musées). Il faut essayer d'optimiser leur exploitation et de les développer dans le futur. Un autre point important est l'innovation sur laquelle nous devons encore progresser, que ce soit sur l'énergie et la récupération de chaleur, ou sur la maîtrise des consommations et de la demande. Il faut déployer à l'échelle du quartier et de la ville les réseaux intelligents. Nous avons l'objectif d'atteindre moins 25 % de nos consommations d'énergie actuelles en 2020, et il faudra aller encore plus loin en 2050. Pour cela nous avons besoin d'outils et de moyens.Je rajouterai une étape de gouvernance, car la ville intelligente est celle qui reprend la main sur la gestion de ses réseaux et peut produire des énergies renouvelables au niveau local.
Selon vous, quelles sont les orientations que devraient prendre les acteurs de la ville pour réussir le pari de la ville durable ?
Il faut être curieux et ne pas restreindre son approche à une méthode connue. Il s'agit de s'ouvrir, regarder ce qui se fait ailleurs, risquer, oser, expérimenter. « Qui ne tente rien n'a rien », il faut parfois accepter d'échouer pour réussir. Nous avons besoin de changer de modèle, et cela implique de prendre des risques, et de le faire dès maintenant. Tous les métiers de la ville sont concernés. Le besoin de transversalité est plus important qu'autrefois et nécessite de décloisonner les secteurs. Je suis de nature positive et reste persuadée que nous y parviendrons.
Retrouvez l'ensemble des interviews dans EcologiK 56 : Villes intelligentes...et durables ? (déc-janv-fév 2017/2018)