Quartier Charonne, dans le 20e arrondissement de Paris. Nous sommes rue des Haies, à deux pas du métro Maraîchers. L’évocation est champêtre, l’ambiance village annoncée : venelles charmantes et impasses fleuries. Si les traces des collines cultivées de Belleville et de Montreuil sont bel et bien portées disparues, il est un endroit où salades et tomates poussent à nouveau entre deux buissons d’aromates. Surprise, il ne s’agit pas d’un espace vert ordinaire, mais d’un parc suspendu au-dessus d’un nouveau gymnase : celui des Vignoles. Cultiver son corps donc… mais aussi des légumes, une devise inhabituelle pour un aménagement qui l’est encore plus. Si les traditionnelles salles de sport, accueil, vestiaires et sanitaires se trouvent bien à l’intérieur, il suffit de monter l’escalier métallique extérieur situé en façade nord-est pour troquer les haltères contre bêche et pioche. Des bancs, des bacs en bois, des haies d’hélianthes… en tout 800 mètres carrés de nature avec vue sur la skyline de la capitale.
Tissu faubourien
Conçue par l’agence toa, cette opération bipartite – 47 logements et un gymnase en partie centrale – répondait à un enjeu principal : l’intégration urbaine. Insérer dans un tissu serré, marqué par la petite échelle de son bâti, le massif parallélépipédique d’une salle de sports de 44 mètres par 24, était en effet un réel défi. Pour le relever, les concepteurs ont proposé de « faire disparaître » la grande halle contenant les terrains de jeu derrière trois édifices d’habitation, dont les logements traversants sont desservis par des coursives extérieures. La halle ne transparaît plus qu’en façade nord-est, à travers un mur de 40 mètres de longueur par 8 de hauteur, transparent dans la zone basse et translucide en partie supérieure pour un éclairage naturel. Les habitations – maisonnettes individuelles et immeubles collectifs – sont quant à elles introduites dans les constructions existantes, de hauteurs variables avec un maximum de cinq étages. « Nous étions arrivés à fondre le bâti dans le plan du quartier, mais nous rencontrions un vrai problème avec le toit »,explique Olivier Meheux, associé de l’agence. Si le bâtiment disparaît en partie aux yeux du piéton, la question de la fameuse cinquième façade se pose en effet pour les habitants des trois derniers niveaux qui dominent la situation. Les maîtres d’œuvre y répondent astucieusement en créant un jardin dont la trame rappelle les parcelles faubouriennes. Ils proposent par ailleurs de conserver les usages préexistants en exploitant les jachères qui se trouvaient sur le site, dans le cadre d’un atelier d’insertion.
Semis d’herbe et sumacs
Fleurs et légumes s’ajoutent dès lors au programme. La proposition séduit la Ville de Paris qui, emmenée par l’ajointe à l’urbanisme Fabienne Giboudeaux, accepte l’idée : le gymnase portera des jardins à végétaliser en pleine terre ! La structure a donc été dimensionnée pour soutenir le poids de l’ensemble : onze poutres, d’une portée de 24 mètres pour un élancement de 1,60 mètre, supportent le jardin dont elles dessinent la trame. Olivier Meheux souligne que l’espace n’est pas réservé aux résidents : « L’accès est public et indépendant, le long de la façade du gymnase. N’importe qui peut y aller ! »
L’aménagement a bien vieilli : en cinq ans, le simple semis d’herbe et les quelques sumacs de Virginie, plantés pour filtrer les vues et apporter de l’ombre, se sont transformés en potager biologique avec plantes sauvages et nombreuses espèces de légumes. Ambiance bucolique garantie, dont profitent en premier lieu les résidents des logements des étages supérieurs. Au final, une belle réussite grâce à l’investissement d‘une multitude d’acteurs. « Sans dynamisme associatif, un projet comme celui-ci meurt », précise Olivier Meheux. L’idée, à première vue osée, a depuis pris racine dans la tête des élus : selon la mairie de Paris, une quinzaine d’aménagements haut perchés fleuriront prochainement dans la Capitale.
Le jardinage, c’est du sport
Mais du côté de l’appropriation par les habitants, qu’en est-il réellement ? Si tout le monde est invité à mettre la main à la terre, des familles défavorisées aux groupes scolaires, l’espace intimide encore avec ses clôtures et ses horaires d’ouverture. Créé en même temps que le gymnase, l’espace a ses habitués, pas toujours du quartier : « Il y a beaucoup de personnes d’ici, mais aussi des touristes, des gens qui visitent Belleville et qui ont entendu parler de la vue », explique Nico, 31 ans. C’est finalement les voisins les plus proches, ceux du centre sportif, que ce potager de haute altitude attire le moins : « On n’y va pas plus que ça, explique Moussa, 39 ans. Le jardinage, c’est sûr, c’est du sport, mais ce n’est pas pareil ! Par contre, ajoute-t-il en riant, les jardiniers sont super sympas : ils nous ont donné quelques plantes pour l’intérieur du bâtiment. » Rendez-vous dans cinq ans, pour voir si la cohabitation a totalement porté ses fruits...