Du bruit et de l’effervescence des chantiers navals de naguère, perdurent ici et là les traces soigneusement conservées d’un passé ouvrier. L'écoquartier de la Prairie au Duc*, qui se développe au cœur de ces vastes friches, est ponctué de cales, grues, rails et rampes de lancement. Cette rénovation urbaine d’envergure, qui est portée par une ambition environnementale affirmée, est bordée au nord-est par la Galerie des Machines, près de laquelle on peut croiser le majestueux Grand Éléphant, et au nord-ouest par les anneaux minimalistes signés Buren et Bouchain sur le quai des Antilles. Les 120 000 mètres carrés de logements et activités économiques (r+7 en moyenne) se composent d’une vingtaine d'opérations immobilières, dont la tête de proue urbaine est le groupe scolaire Aimé Césaire.
Écrin de nature
L’équipement est situé à deux pas du parc des Chantiers, dont il apparaît aujourd’hui comme un prolongement naturel par son allure faussement désinvolte et sauvageonne. L’architecte Bruno Mader se souvient de ses premières réflexions : « Au lancement du projet, l’urbanisation du quartier n’en était qu’à ses prémices. Les sols étaient totalement pollués, le site fortement venteux. Seuls quelques schémas et gabarits indiquaient les orientations futures, impliquant notamment de forts surplombs à proximité de l’école.Nous avons donc ressenti le besoin de concevoir un espace accueillant, à l’échelle de l’enfant, un cocon où l’on peut se protéger des expositions trop fortes, tout en s’ouvrant sur des horizons qui sont les véritables atouts du site. Très vite est venue l’envie de recréer pour eux un écrin de nature dans ce lieu stérile. »
Objet furtif
Inscrite dans un quadrilatère étiré de 100 mètres sur 50, longée par des immeubles de neuf et dix étages en cours d’édification, mais d’une hauteur limitée à r+1, l’école doit relever le pari d’exister d’un point de vue urbain. Les architectes optent alors pour un effet de contraste avec « une sorte de non-architecture un peu brute et volontairement floue par rapport à un quartier très net ». La strate émergente et organique ainsi créée se gante d’une enveloppe-résille en ganivelles de hauteur variable, qui uniformise le périmètre du jardin-école. Dans un grand mouvement montant du nord au sud, elle protège les enfants des regards indiscrets, tout en filtrant le soleil. « De l’extérieur, l’établissement disparaît derrière cette paroi boisée devenant ainsi un objet furtif, car les gens analysent la palissade comme une extension du parc tout proche, constate l’architecte Marie-Hélène Reich. Cette peau rustique et continue assez inhabituelle provoque de fait une abstraction de la façade. Pour nous, elle incarne le retour dans la ville d’un précieux fragment de cette nature des bords de Loire. »
Morphologie organique
Janus urbain au double visage, cet équipement introverti reste mystérieux pour les nombreux passants qui le longent, mais se révèle ludique pour les enfants qui l’occupent. L’audace du projet – créer une vraie promenade-jardin là où le programme n’imposait qu’un simple revêtement végétalisé type sedum – fait mouche. « Les surfaces allouées, avec deux cours de récréation distinctes, ne permettaient pas de créer un véritable espace vert. Une idée s’est alors imposée : utiliser la volumétrie des couvertures, très visibles des bâtiments environnants, pour y fusionner une partie des aires de jeu et générer un lieu de transition paysager, pour le plus grand plaisir de tous », explique Marie-Hélène Reich. La centaine d’espèces végétales glanées sur les côtes du littoral atlantique par les paysagistes de l’agence Phytolab ont permis d’obtenir un semis local. La toiture basse accueille ainsi le biotope dunaire tandis que, plus haut, elle est en relation avec le milieu écologique landais. Fonctionnant en quasi-autonomie, ces jardins aériens offrent par l’épaisseur de leur substrat (plus de 60 centimètres) une protection thermique et acoustique, qui participe à la rétention des eaux, temporise l’écoulement et évite les surcharges des réseaux. Accessibles dans le cadre d’activités pédagogiques par les enfants avec leur maîtresse, ils bénéficient de longues perspectives visuelles.
Pédagogie spatiale
Au cœur de ce microcosme, la clairière incurvée formée par les cours et encadrée par les salles de classe présente une expression architecturale différenciée. Le rythme cinétique et épuré des grandes baies vitrées s’élevant du nord au sud ponctue les quatre entités composant le pôle scolaire : maternelle, élémentaire, crèche associative et centre de loisirs. Chacune bénéficie d’une vraie autonomie fonctionnelle tout en restant en relation avec les autres. La mutualisation de certains espaces – entrée, salle à manger, pièce de repos – permet par des jeux de transparence et de surplomb d’enrichir l’interactivité du lieu. En revanche, à chaque âge sa cour de récréation ! « Nous avons travaillé sur l’évolution de l’enfant, sa découverte progressive du monde, l’appréhension successive des différentes échelles qui l’environnent », précise Bruno Mader. Blotti le long de la façade sud, un patio introverti et sécurisant est réservé aux tout petits de la crèche. Les maternelles profitent du préau et de la vaste cour du rez-de-chaussée tandis que les classes élémentaires, situées à l’étage, peuvent s’ébattre sur une partie de l’espace en toiture dont les vues s’étendent jusqu’à la rive opposée de Nantes.
Dans le même souci d’authenticité, les matériaux sont laissés simplement à nu, sans camouflage aucun. Minéralité et inertie du béton, chaleur et isolation du bois, végétal et lumière composent ensemble la personnalité technique et esthétique du lieu tout en jouant des contrastes. La même attention a été portée à la structure afin de pousser au maximum les performances énergétiques du bâtiment. Rigoureusement étanchées et soutenant des charges en toiture jusqu’à 850 kg/m² (terre et rétention d’eau), les dalles sont reprises en façade côtés cour et rue par de minces poteaux mixtes en métal et béton tandis que les porte-à-faux sont équipés de rupteurs de pont thermique.
S’inscrivant assurément dans une temporalité au long court, le groupe scolaire Aimé Césaire est à l’image des enfants dont la maturation va grandissante au fil des années. Issu d’une terre stérile au milieu d’une ville en construction, il porte en lui toute la potentialité de son devenir, remplissant sans ostentation sa mission de service public, dans la qualité et l’exigence.
* Ce label attribué par le ministère de l’Écologie à la Prairie-au-Duc a contribué à inscrire la métropole Nantes-Saint-Nazaire parmi les treize « ÉcoCités » labellisées en 2009. Il identifie les pionniers d’aménagements urbains exemplaires, susceptibles de constituer des références pour la diffusion de nouvelles pratiques par leur réponse à un cahier des charges contraignant de haute qualité environnementale définie par le Plan Climat.