En Corée du Sud comme ailleurs, les mœurs évoluent : de nos jours, on se marie et on fait des enfants (ou pas) de plus en plus tard. Mais ici, « les jeunes ont toujours habité chez leurs parents jusqu’aux noces », explique Jinhee Park, co-fondatrice avec John Hong de l’agence SsD. Le recul du schéma familial traditionnel remet en question cette pratique : « Depuis trois ou quatre ans, témoigne l’architecte, les petits logements conçus pour une personne connaissent un grand boom sur le marché. »
Micro-urbanisme
M. Lee, le client, souhaite investir dans l’immobilier à Songpa, un quartier riche appartenant au Grand Gangnam, arrondissement administratif regroupant les zones les plus privilégiées de la capitale. Sa fille y gèrera un café et une galerie d’art situés respectivement au sous-sol et au premier étage de l’édifice, tandis que les studios ou appartements d’une pièce seront en partie loués aux artistes qu’elle représentera. Le désir d’accommoder une communauté de jeunes professionnels indépendants conduit les Lee à se diriger vers l’agence SsD. Et pour cause, question micro-logement, ces concepteurs font toute la différence : alors que la plupart des promoteurs locaux optimisent au maximum la taille des unités aux dépens de leur qualité, Jinhee Park et John Hong plaident pour la création de petits appartements et de circulations spacieuses. Ils privilégient la lumière et la ventilation naturelles à l’intérieur des logements mais aussi dans les corridors et les escaliers, où le positionnement et la taille des ouvertures modifient la perception de l’espace et donnent l’illusion de surfaces plus vastes. Fervents défenseurs de la mixité des fonctions au sein d’une même structure, les concepteurs développent la théorie du « micro-urbanisme » : la décomposition des éléments d’un tout au degré le plus petit de façon à pouvoir les assembler et désassembler en fonction des besoins. Que l’échelle soit celle de la ville ou du bâtiment, la démarche est la même : les couloirs sont l’équivalent des rues, tandis que les appartements, les commerces et autres locaux correspondent aux édifices ponctuant la cité. « Aujourd’hui, raconte l’architecte, les choses changent rapidement : les familles s’agrandissent ou se rétrécissent, on travaille chez soi ou au bureau, les loisirs varient et s’intègrent à notre emploi du temps quotidien… La ville doit suivre ces évolutions. Le zoning et ses banlieues-dortoirs n’ont pas fonctionné parce qu’ils ne pouvaient structurellement pas se transformer, alors qu’en mélangeant les fonctions, on mutualise les surfaces et l’énergie. C’est la même chose au sein de l’immeuble. Décomposer les entités dès la phase de conception rend cette capacité d’adaptation encore plus facile. » La galerie du premier étage, prévue à l’origine pour accueillir des studios, peut être facilement reconvertie. Il est aussi techniquement possible de réunir deux unités, voire plus, si un occupant souhaite vivre en couple ou fonder une famille.
L’architecture au service de la communauté
Une autre dimension clé du micro-urbanisme selon SsD est la transformation des espaces servants en espaces servis. Jinhee Park argumente ce choix en mettant en avant la différence entre la densité de l’habitat et celle des habitants. Dans les métropoles, où beaucoup suivent un mode de vie nomade, voyageant d’une ville à l’autre pour le travail ou les loisirs, le nombre de logements est très élevé mais leur taux d’occupation est très faible. Les architectes proposent donc de minimiser la dimension des appartements : la taille standard est ici de 11 mètres carrés, soit la plus petite surface autorisée par la réglementation locale. Les circulations ont au contraire une superficie maximisée : les couloirs mesurent en moyenne 1,80 mètre de large au lieu des 1,50 réglementaires. Dans ces lieux de vie et de rencontre entre résidents, utilisables comme salle à manger ou salons informels, des tabourets incitent à la détente et au bavardage entre voisins. Les balcons communautaires sont assez larges pour y installer des tables. Tous ces espaces partagés baignent dans la lumière du soleil et sont ventilés naturellement grâce à leurs nombreuses ouvertures. Ils ne font pas l’objet d’un statut foncier particulier et n’ont pas été spécifiquement demandés par le maître d’ouvrage. L’agence livre ici une œuvre prototypique, en espérant que la qualité architecturale favorisera le sens de la communauté et incitera naturellement les occupants à tirer profit des lieux. Il est tentant de comparer les micro-logements de SsD avec ceux de l’avant-gardiste Nagakin Capsule Tower, réalisée 42 ans plus tôt par Kisho Kurokawa à Tokyo, qui rassemble de minuscules espaces de vie combinables selon le désir des habitants. Mais les modules préfabriqués du monument métaboliste laissent peu de place à la variation, et ses circulations n’incitent pas à la vie communautaire. « Ce qui comptait à l’époque, c’était la performance des unités et de la construction. Il s’agissait d’un ouvrage futuriste, ce qui n’est pas le cas de nos micro-logements. Nous essayons d’analyser ce qui se passe dans la société aujourd’hui et d’y répondre », commente Jinhee Park. Une bonne réponse…