Jusqu’à quel point les villes pourront-elles rester vivables au cours de ce siècle placé sous le signe de changements climatiques majeurs ? Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), instance de référence internationale en la matière, a déjà tiré la sonnette d’alarme. Les risques de phénomènes météorologiques extrêmes liés au changement climatique – vagues de chaleur, précipitations et inondations des zones côtières – atteindront un niveau élevé si la température moyenne globale augmente de 1 °C, alertent les scientifiques. Dans les villes, la fréquence des journées chaudes et la pollution de l’air vont exacerber l’effet îlot de chaleur urbain. La mortalité due aux vagues de chaleur est appelée à augmenter en Europe dans toutes les zones géographiques, hormis les régions alpines. Les effets de ces anomalies seront systémiques : ils auront des répercussions sur l’ensemble de la chaîne économique, car ils pourront engendrer l’incapacité périodique de travailler en extérieur, des pannes d’électricité, des problèmes de fourniture d’eau.
Face à ces pronostics inquiétants, les villes s’organisent. Elles se relient entre elles, échangent des retours d’expériences, se coalisent en réseaux. Le Cities Climate Leadership Group, dit C40, a été créé il y a onze ans par Ken Livingstone, alors maire de Londres, pour fédérer les initiatives des grandes métropoles et lutter contre le réchauffement climatique. Le C40, dont le siège est à Londres, rassemble 91 métropoles dont New York, San Francisco, Vancouver, Paris, Moscou, Rome, Milan, Athènes, Séoul, Bombay, Jakarta, Melbourne, Hong Kong, Pékin, São Paulo, Buenos Aires, Le Cap et Le Caire. L’ensemble de ces agglomérations représente environ 600 millions d’habitants et 25 % du PIB mondial. 70 % des mégacités du réseau rapportent être déjà victimes des effets du réchauffement, d’après les statistiques du C401.
Ces métropoles, qui cumulent 2,4 gigatonnes d’équivalent CO2, s’orientent vers la suppression de leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050 afin de concourir à l’objectif global, mentionné par l’accord de Paris sur le climat, de stabiliser la hausse de la température à 1,5 °C au cours de ce siècle. La maire de Paris, Anne Hidalgo, qui préside le C40 depuis août 2016, l’a rappelé lors de sa déclaration consécutive à la décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, le 1er juin 2017 :
« Les conséquences du dérèglement climatique se font déjà ressentir dans les grandes villes du monde : ouragans à La Nouvelle-Orléans et à New York, inondations à Paris, Houston et plus récemment Montréal, vagues de canicules mortelles à Sydney, pollution de l’air à Pékin. »
RENFORCER LA RÉSILIENCE DES INFRASTRUCTURES
Le réseau 100 Resilient Cities2 a été fondé en 2013 à l’occasion du centième anniversaire de la Fondation Rockefeller et initialement doté de 100 millions de dollars (aujourd’hui 164 millions) pour stimuler des politiques de résilience dans les villes.
« Ce réseau conduit des stratégies et veille à ce qu’elles soient mises en œuvre, afin que les habitants soient plus en sécurité et vivent plus heureux », explique son président, Michael Berkowitz.
La priorité est de renforcer la cohésion des citoyens, à l’échelle des voisinages, et de susciter la solidarité, y compris par les infrastructures elles-mêmes. Par exemple le projet de coulée verte Big U au sud de Manhattan doit relier les habitants des quartiers modestes au front de mer tout en les protégeant des effets de l’élévation du niveau des eaux. En l’occurrence, cette digue devra connecter les gens.
Car ce qui semblait relever de la fiction est désormais une réalité. L’ouragan Sandy, qui a frappé la côte Est des États-Unis le 29 octobre 2012, a coûté quelque onze milliards de dollars à la ville de New York. Car ce qui semblait relever de la fiction est désormais une réalité. L’ouragan Sandy, qui a frappé la côte Est des États-Unis le 29 octobre 2012, a coûté quelque onze milliards de dollars à la ville de New York.
Désormais, pour les entreprises new-yorkaises, ouragans et tempêtes sont parmi les risques climatiques les plus réels. Thomson Reuters a vu son centre de données de New York fermer, tandis qu’un autre de ses centres devait recourir à des groupes électrogènes au diesel, pour une facture de carburant de 50 000 dollars pour 72 heures d’utilisation. Cinq mille employés ont dû être déplacés et les dégâts ont coûté 5 millions de dollars... À la suite de Sandy, la ville a accordé 293 millions de dollars aux PME pour les aider à améliorer leur résilience. Elle impose désormais aux opérateurs de télécommunications de s’équiper pour résister aux événements extrêmes.
À Paris, le haut responsable de la résilience, Sébastien Maire, appointé par le réseau 100 Resilient Cities depuis 2016 auprès de la Mairie de Paris, estime qu’en cas de crue de la Seine, « il faudrait anticiper dès maintenant de manière opérationnelle une reconstruction plus intelligente des quelques infrastructures majeures qui nous rendent si vulnérables, comme certains postes sources ERDF, car au moment de la crise, si on ne l’a pas étudiée avant, il n’y aura pas d’autre solution que de reconstruire au plus vite les mêmes équipements, qui pourront à nouveau être balayés ou rendus non opérationnels par une nouvelle crue ».
Dans une étude récente sur l’interdépendance des infrastructures face aux risques climatiques3, le réseau C40 se penche sur les effets en « cascade » des événements climatiques extrêmes dans des contextes urbains. Les réseaux électriques sous trottoir, où la température peut atteindre jusqu’à 70 °C, sont sujets à des pannes de secteur, avec des répercussions sur le système d’acheminement des marchandises et des effets d’engorgement du trafic. L’autorité des transports de l’État de New York élabore des stratégies pour prévenir la déformation des voies ferrées, l’affaissement des caténaires et l’interruption du service.
Les infrastructures portuaires sont en première ligne. Construite sur un archipel, centre économique hyperactif à la démographie en hausse, la cité-État de Singapour est particulièrement vulnérable à la montée du niveau des mers. La municipalité a récemment imposé de nouvelles normes : les terrains constructibles doivent être au minimum à 2,25 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle a commandé une étude cartographique des risques, couvrant l’ensemble de la bande côtière de la métropole, afin d’identifier les zones spécifiquement exposées. À Amsterdam (Pays-Bas), les infrastructures du port de Westpoort dépendent toutes de l’électricité. Le programme Delta examine le renforcement des digues actuelles et encourage le rehaussement des installations critiques au-dessus du niveau de la mer et la mise en sécurité des pompes de refoulement du réseau d’eau potable.
DÉMINÉRALISER LES VILLES
En milieu urbain, la densité des bâtiments et des matériaux artificiels qui retiennent la chaleur entraîne une augmentation de la température qui peut atteindre jusqu’à 5 ou 6 °C de plus qu’en milieu naturel. Ce phénomène tient aussi à la forme urbaine en « canyon » qui réverbère et piège le rayonnement solaire et la chaleur. Ces effets, qui peuvent avoir des conséquences graves sur la vie d’une ville, comme on l’a vu lors de la canicule de 2003, sont amplifiés du fait de la vulnérabilité particulière des populations (personnes âgées, isolées…) et des infrastructures.
« Il faut agir dès maintenant sur les orientations en matière d’urbanisme et d’aménagement de l’espace public pour limiter à terme les effets îlots de chaleur », insiste Sébastien Maire.
Comme le souligne Marie-Christine Zélem, professeur de sociologie, spécialiste des questions d’environnement et d’énergie, à l’université Toulouse-Jean-Jaurès, il faut agir sur la morphologie des villes : « Les modèles constructifs contemporains confortent le recours à la technique et à la multiplication des équipements dans les bâtiments. La tendance est à bétonner, goudronner, l’eau ne peut plus s’écouler. On est bien confrontés à un problème morphologique. Ce qui nécessiterait de revoir les grands concours d’architecture, les modèles d’aménagement et d’urbanisme dans leur ensemble... Un gros chantier. »
Quant à la réglementation thermique française, elle ne prend pas suffisamment en compte la question du rafraîchissement du bâti4. C’est toute la motorisation de la société qui est à revoir. En ville, les automobiles sont un redoutable multiplicateur de surchauffe : la chaleur dégagée par des milliers de moteurs thermiques s’ajoute à celle du soleil, et le bruit empêche bien souvent d’ouvrir les fenêtres, alors que la température extérieure s’est rafraîchie. La climatisation, dont le recours s’est généralisé depuis la canicule de 2003, est efficace dans l’instant, mais aggrave le réchauffement à long terme et demeure gourmande en énergie.
Autre difficulté structurelle : les villes modernes sont construites comme des trappes à chaleur. Le verre des immeubles et le béton, deux matériaux phares du XXe siècle, ne sont pas adaptés à la nécessité de rafraîchir les villes. Exposés au soleil, ces bâtiments surchauffés imposent la climatisation. Il faut « déminéraliser » le bâti pour utiliser des matériaux qui stockent moins la chaleur, tels que le bois et la paille. Et, partout où c’est possible, remettre du vert dans la ville. À Paris, ce sont 100 hectares de toitures et murs végétaux qui vont être implantés à l’horizon 2020. Une mesure symptomatique de l’attention portée par la capitale aux enjeux d’adaptation au réchauffement.