VIDÉO - Volvo Car France : Voitures autonomes - La ville de demain
Le 14 septembre 2016, des habitants de Pittsburgh (Pennsylvanie) aux États-Unis ont pu se rendre à leur travail à bord de taxis Uber sans chauffeur. Alors que la start-up de San Francisco, cotée à 68 milliards de dollars, mène en toute discrétion des recherches pour mettre au point des véhicules autonomes, elle a révélé que sa stratégie était déjà bien avancée. C’est la première fois que de telles automobiles ont été mises à la disposition des clients. Pour Uber, la voiture sans conducteur est la prochaine étape de son ascension. Son plan : remplacer la plupart de ses 1,5 million de conducteurs par des véhicules dits « intelligents ». Les journalistes embarqués ont pu constater la conduite fluide et sans heurt de ces véhicules, s’arrêtant aux feux rouges et accélérant aux feux verts, traversant un pont, ralentissant devant une portière de voiture stationnée qui s’ouvre dans une rue animée, sans aucune intervention sur les appareils de contrôle, tandis que le conducteur et l’ingénieur de bord intervenaient une fois tous les deux kilomètres.
Depuis l’ouverture de son centre de recherche à Pittsburgh l’année dernière, Uber a mobilisé quelque quarante chercheurs de l’université Carnegie-Mellon en partenariat avec l’industriel Volvo. Mais le terrain est déjà saturé. D’Alphabet inc. jusqu’à Tesla Motors, entreprises de technologie et fabricants de voitures rivalisent pour construire la voiture autonome et développent des business plans pour ce qui est censé révolutionner à long terme le transport des personnes. En Californie, les premières Google cars sont apparues sur les routes en 2009. Équipées de capteurs, elles saisissent des myriades de données, notamment celles se rapportant au milieu immédiat et à la circulation, recoupent ces informations avec les éléments cartographiques stockés à bord et avec des serveurs qui, en temps réel, fournissent un flux d’informations sur l’état du trafic, réinterprétées à chaque instant..
DES VÉHICULES BOURRÉS DE DATA
Si le pilotage d’un avion repose sur 6,5 millions de lignes de code software, une voiture autonome n’en utilise pas moins de 100 millions ! La connectivité est la condition de l’autonomie. La voiture va devenir une base de données, explique Christine Caviglioli, vice-présidente d’Automotive Gemalto, entreprise spécialisée dans l’Internet des objets, dont la vocation est de « donner confiance en l’avenir, un avenir où les personnes et les objets resteront connectés en permanence. Les innovateurs, les entreprises, les gouvernements et les consommateurs pourront transformer en toute sécurité les données des objets intelligents en informations utilisables et en interactions numériques plus pratiques ». Le digital va catalyser de nouvelles mobilités, prévoit Florence Parly, directrice générale de sncf voyageurs, « avec l’espoir d’une mobilité personnalisable de masse ». La Google car neutralisera le risque d’accident, effacera les imperfections humaines :
« Mon but est que le grand public considère les voitures autonomes comme plus sûres que celles conduites par les hommes », soutient Sergey Brin, président d’Alphabet, filiale de Google.
Le système sera-t-il résilient ? Le voici déjà dans la ligne de mire des hackers. En septembre 2016, une équipe d’ingénieurs au sein de l’entreprise chinoise Tencent est parvenue à pirater une Tesla modèle S en interceptant des données transmises en WiFi. Technoterroristes, cyberattaquants et pannes électriques pourraient être les grains de sable dans la grande machinerie des milliards d’objets connectés.
La voiture autonome ne relève pas de la science-fiction, voire la réalité est en train de dépasser la fiction, selon certains observateurs du secteur. « Au cours des dernières années, une centaine de Google cars ont parcouru plus de deux millions de kilomètres sans causer d’accident, et apprennent à conduire et simuler chaque jour plus de trois millions de kilomètres virtuels. Tesla possède une flotte de 50 000 véhicules, vendus à des clients, qui circulent en ce moment même sur les autoroutes, rassemblant des millions de kilomètres d’expérience en conduite réelle, à un accident près », constate Robin Chase, cofondatrice des start-up Zipcar, Buzzcar, Goloco, et Veniam, dans une tribune très consultée relayée par le site Medium. « Ces expérimentations confortent Google, Tesla, gm, Ford, Toyota, bmw et Nissan, qui annoncent une mise sur le marché dès 2020. » C’est demain.
ENJEUX RÉGLEMENTAIRES
En France, le Code de la route ne comporte aucune disposition relative à l’utilisation de véhicule sans conducteur. Il n’est donc pas encore possible qu’un robot autonome sorte seul d’un espace privé pour circuler dans le domaine public routier et livrer un produit. Le droit français pourrait, à court terme, connaître certaines évolutions concernant notamment les tests des véhicules autonomes sur la voie publique.
« La voiture autonome ne relève pas de la science-fiction… »
La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte autorise en effet le gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de permettre la circulation de véhicules autonomes, qualifiés de « véhicules à délégation partielle ou totale de conduite », note le livre blanc sur le droit de la robotique publié par le Syndicat des machines et technologies de production (symop) en octobre 2016. En France, des expérimentations sont lancées : à Lyon, avec le minibus automatique Navya Arma de Keolis dans l’hypercentre ; dans la centrale nucléaire de Civaux, où Transdev a fait tourner six navettes autonomes pour transporter les ouvriers dans l’enceinte du réacteur. Pour Patricia Villoslada, directrice véhicules autonomes chez Transdev, la voiture sans pilote se marie bien avec la voiture partagée et avec le véhicule électrique. « Ce qui nous intéresse, ce sont les véhicules de transports en commun. On recherche un meilleur taux d’occupation, mais pour que ça marche, il faut que le système soit intégré dans un système de transport global. »
Quels sont les avantages de ces véhicules ? L’institut Vedecom veut croire qu’ils ont un avenir. Fondé en 2014 pour stimuler et fédérer les innovations de mobilité en France, Vedecom a testé des Twizy autonomes dans les allées du parc de Versailles. L’enjeu ? Créer une flotte de transport à la demande, au motif qu’elle serait moins coûteuse qu’avec chauffeur. Renault se veut le leader de l’intelligence embarquée. Cependant, quid du changement de métier pour le constructeur automobile ? Il pourrait ne pas y gagner au change. Tout comme les assureurs, qui ne négocieraient plus avec des particuliers, mais avec des opérateurs de flottes dotés d’une puissante force de négociation.
AVEC OU SANS CHAUFFEUR ?
Coordonnée par José Viegas, secrétaire général du Forum international des transports, sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (ocde), l’étude Shared Mobility: Innovation for Liveable Cities (« Mobilité partagée : innovation pour des villes habitables »), publiée le 10 mai 2016, évalue l’impact sur la ville de Lisbonne d’une mobilité fournie par une flotte de taxis partagés à six places permettant des trajets porte à porte à la demande, en association avec une flotte de minibus pour huit ou 16 personnes (taxis-bus) desservant à la demande des arrêts préalablement convenus et offrant des déplacements sans correspondance. Les services de transport en métro et en train demeurent les mêmes qu’à l’heure actuelle. Il ressort de ce modèle de ville que la congestion disparaît, le volume de trafic baisse de 23 %, et de 37 % aux heures de pointe, ce qui suffit à effacer les embouteillages, les émissions dues au trafic sont réduites d’un tiers, et le stationnement public nécessite 95 % d’espace en moins.
À Lisbonne, 3 000 taxis traditionnels sont en circulation. Doubler cette flotte couvrirait les besoins, mais ne représenterait que 3 % des véhicules de l’ensemble du parc automobile actuel, estiment les chercheurs. D’immenses espaces précédemment dédiés au stationnement pourraient alors être reconvertis pour améliorer l’habitabilité des villes – qu’il s’agisse de créer des jardins publics, des trottoirs plus larges ou davantage de pistes cyclables de meilleure qualité. Cette transition créerait aussi des emplois... environ 5 900 taxis partagés, un millier de conducteurs de minibus à 16 places, et 3 042 taxis à huit places pour répondre aux heures de pointe à l’échelle de Lisbonne.
C’est bien là le hic, pour certains. Supprimer le travail humain permettrait de créer de nouvelles marges de croissance. Le transport à la demande avec chauffeur reviendrait trop cher aux opérateurs, estime Frédéric Mathis, directeur du programme véhicule chez Vedecom. Prochaine étape de Uber et d’autres : machiniser les services de mobilité. Est-ce là une évolution inéluctable ? Pour Gabriel Plassat, cofondateur de La fabrique des mobilités au sein de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ademe),
« si on remonte l’histoire du fil automobile, la robotisation est dans la ligne de l’électronisation de l’automobile. Mais quand on enlève le conducteur, on procède à un saut quasiment quantique. Du point de vue du conducteur, on entre dans quelque chose de radicalement nouveau. On arrive dans un salon roulant où il n’y a plus de pédale ».
NOUVEAUX PAYSAGES URBAINS
Quel espace public résulterait de l’arrivée de ces flottes de véhicules autonomes ? « Le paysage de nos villes va changer. Pratiquement tous les stationnements dans la rue et les parkings, y compris les garages, n’auront plus lieu d’être. Il reviendra aux collectivités et aux municipalités de développer des critères et des priorités pour redéployer ce nouvel espace public : trottoirs plus larges, plantations d’arbres et verdissement des rues, pistes cyclables, mobilier urbain. Les villes les plus progressistes transformeront les anciens parkings, les garages et les stations d’essence en logements sociaux, espaces verts, épiceries et écoles. Les villes proactives sauront quelles priorités fixer quartier par quartier et définiront leurs critères d’action avant que la transition ne commence », rêve l’entrepreneuse Robin Chase.
Pour Gabriel Plassat, tout dépendra de ce que les villes en feront. « Sur certains territoires, la mobilité robotisée permet de renouveler la fiscalité en récompensant votre trajet si vous utilisez ce type de véhicule, afin de laisser de l’espace public à l’humain et au vélo. L’avantage de ne pas avoir de conducteur, c’est qu’il n’y a plus besoin d’associer le véhicule au stationnement et à un propriétaire, qui ne paye pas le coût du stationnement en termes de consommation d’espace public. » Les voitures et véhicules autonomes appartiendront tous à des flottes, gérées par des opérateurs, selon un modèle business to city. « La voiture autonome n’aura pas le même modèle d’affaires. Elle relèvera d’applications du type Waze qui repose sur un troc de données entre conducteurs en temps réel. Dans un contexte où le numérique devient la matrice de comment on voit le monde, la voiture autonome crée des données aussi, car elle scanne la ville en temps réel. Google s’y intéresse pour mettre à jour ses cartes street view et cherche désormais à indexer le monde physique. »
« Tous les stationnements dans la rue et les parkings, y compris les garages, n’auront plus lieu d’être. »
Aujourd’hui, les véhicules motorisés conventionnels procurent des ressources fiscales issues de l’industrie automobile et fournissent des emplois à des centaines de milliers de chauffeurs. Pour les collectivités, la fiscalité des carburants, les contraventions, la redevance pour le stationnement ou l’obtention d’un permis de conduire sont autant de sources de recettes que les véhicules autonomes pourraient effacer. Et les villes n’y sont absolument pas préparées, alors que les véhicules autonomes pourraient arriver sur le marché plus vite et plus massivement qu’elles ne l’envisagent.
« Les véhicules autonomes amélioreront nos villes, s’ils ne les ruinent pas », estime Robin Chase.
La fiscalité doit basculer vers les immenses gains de productivité permis par les robots, propose la fondatrice de Zipcar, afin de financer un revenu d’existence pour tous.
Pour Julien Langé, de l’atelier Acturba, « il faut travailler sur les liens. Le numérique offre des potentiels collaboratifs horizontaux, dont des solutions de mobilité, et la mise en relation entre opérateurs urbains classiques et leurs usagers. Exemple : la Ville de Paris communique de plus en plus via les réseaux sociaux pour enquêter sur les attentes des Parisiens. C’est la “Ville participative”. Jusque-là, l’étude des besoins était minorée. Or il y a un vrai potentiel de renouvellement, via de nouveaux concepts de service susceptibles de reconfigurer l’usage de l’espace public ». Cet urbaniste développe le concept de Véloptimo afin de développer le partage de vélos dans les copropriétés et les immeubles. Ce système intégré de partage et de maintenance entre particuliers de vélos recyclés passera par une application et surtout par la sécurisation des locaux à vélos grâce à une serrure intelligente.
TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE
A contrario de ces low-tech, le véhicule autonome pourrait avoir pour corollaire un effet rebond énorme par l’usage de climatisation, d’écrans et autres technologies embarquées.
« Si la voiture autonome fait cinq mètres de long, quatre places et 900 kilos roulant à l’électricité, elle sera peut-être même moins intelligente qu’avant », estime Julien Langé.
« Le problème c’est que ce type d’invention draine la grande majorité des investissements. C’est dommage. Les industriels qui cherchent à rester leaders sur leur marché vantent la ville intelligente, la smart city, la voiture intelligente. Le grand du Net qui s’y intéresse, lui, ce qui l’intéresse avec la voiture autonome, c’est de conquérir du temps de cerveau disponible. Selon moi, ces grands acteurs ne sont pas innovants, ils sont dans leur bulle. Un système vraiment intelligent devrait être un hybride entre usagers, interfaces, fonctions, qualité de service, modularité des usages. »
Alors quels sont les obstacles au succès de la voiture autonome ? Pour Philippe Bihouix, ingénieur et auteur de L’Âge des low-tech1, « la vitesse de déploiement de ces véhicules est limitée par l’effet parc et par les contraintes économiques et techniques des appareils, qui supposent de déployer partout une infrastructure de big data. Pour que le système fonctionne, l’ensemble des voitures doit être autonome. Du coup, cette espèce de vision formidable ambiance Blablacar n’aura pas lieu avant 2040 ou 2050. C’est très utopique. Pour qu’ils aient un effet sur la mobilité, il faudrait que ces systèmes se déploient partout, ce qui prendra quelques décennies ».
À bord, la connectivité sert à occuper le temps offert par l’autonomie. « Car le même véhicule, grâce encore à la magie de l’intelligence artificielle, par des logiciels d’analyse des visages et d’interprétation des états physiologiques ou psychologiques, ou des éventuelles conversations tenues en son sein, est appelé lui-même à suggérer quantités d’“animations” durant les parcours, tel un “gentil organisateur” d’un club de vacances », décrit Éric Sadin dans son saisissant ouvrage, La Silicolonisation du monde2.
La voiture autonome pourrait être un miroir aux alouettes : une énorme promesse énergétique roulant sur les routes solaires annoncées par Ségolène Royal, avec pour revers une forte consommation de matières premières, un système complexe donc fragile, et une orchestration panoptique de recueil de données personnelles. Comme le dit Philippe Bihouix, de même que la liseuse d’Amazon sait ce que lit le lecteur, la voiture autonome saura tout sur nos parcours. Notre smartphone nous signalera qu’il y a longtemps que nous ne sommes pas allés faire du shopping au triangle de Gonesse, futur centre commercial controversé dans le Val-d’Oise : la vie privée va devenir une anomalie.
Article paru dans EcologiK 53 : Écomobilités (mars-avril-mai 2017)