Depuis près de quinze ans, Matthieu Poitevin, cofondateur avec Pascal Reynaud de l'agence ARM, prend soin de la reconversion de la Belle-de-Mai, à Marseille, se qualifiant d'« architecte frichier ». De ce travail au long cours qui vise à transformer l'une des plus importantes manufactures de tabac françaises (fermée en 1990), il affirme qu'il s'agit plus « d'affection que de reconversion », un élan sensible pour ce paysage citadin abandonné. Parmi les opérations réalisées, une crèche associative a investi l'ancien bassin d'incendie des locomotives en 2012. L'existant est une force en soi : un carré de 35 mètres de côté, ceint de murs en pierre meulière de près de 4 mètres de hauteur et de 2 mètres de largeur à leur base.
Il a fallu percer, mettre à nu, « montrer la chair de cette pierre » pour accueillir les cinquante berceaux répartis en trois sections, de quelques mois à trois ans.
La structure fortifiée et centrée sur elle-même forme la base d'un projet qui contourne ses contraintes pour révéler ses qualités. Portée par une structure poteaux-poutres en bois, la cour est montée sur le toit, véritable belvédère sur la ville et la Friche. La mise à distance du sol assure la sécurité des enfants placés aux premières loges pour observer la vie foisonnante du lieu culturel et artistique, voir passer les trains, et distinguer au loin la silhouette de la Bonne-Mère. Le programme se développe de plain-pied, posé sur un radier de 25 centimètres de béton coulé dans l'ancien réservoir pour répartir les charges.
Un « mikado de cloisons » en bois organise la crèche autour de deux patios, l'un pour les tout-petits, l'autre pour les grands. Le plan s'organise sur la diagonale du carré.
Les multiples fenêtres intérieures jouent sur les transparences, les reflets et la lumière pour offrir une succession de plans et créer une profondeur de champ. Petits et grands, bien que séparés, s'observent en permanence et perçoivent ainsi le temps qui passe, les apprentissages des uns et des autres, ce qu'est grandir. Les sols sont offerts aux pieds nus, le mobilier est de petite échelle, pensé à leur taille plutôt qu'à celle des adultes. Pas de couleur aux murs, mais des installations vidéo, issues d'une commande artistique, pour se découvrir soi et découvrir le monde.
LA CRÈCHE, LA FRICHE, LE QUARTIER
Conçue en concertation avec les futurs utilisateurs - comme tous les lieux de la Friche -, la crèche a fait l'objet d'une réflexion particulière au sein de ce vaste ensemble. Elle forme un contrepoint entre le territoire culturel et le quartier. Ses bénéficiaires sont les habitants de la Belle-de-Mai, véritable « tête de pont des quartiers Nord de Marseille », ce qui ouvre l'ensemble à l'urbanité alentour.
Il n'était pas question de penser la crèche sans penser la Friche. C'est pour cela qu'elle se pose comme l'une de ses « ponctuations, une apostrophe », explique Matthieu Poitevin, dont l'agence s'appelle désormais Caractère spécial.
Le bâtiment miniature de 600 mètres carrés, à côté de la très grande échelle de la Friche (4,5 hectares), en a prolongé les usages. Ouvrant ses portes à 8 heures le matin, la crèche fait vivre le programme dans son ensemble. Le pédopsychiatre Patrick Ben Soussan et l'association qui porte la garderie ont participé à sa conception pour pouvoir y déployer des activités spécifiques. C'est ainsi qu'une cuisine ouverte aux petits et une bibliothèque pour parents et enfants font partie des pièces aménagées. Le rôle de l'architecte a consisté à « traduire les mots des gens en espaces ». Il s'agit en effet pour Matthieu Poitevin de « susciter l'imaginaire plus que l'objet », objet qu'il laisse ensuite à la libre appropriation des usagers, qui ont notamment ajouté un portique sur le belvédère. « On définit les choses qui sont finies par les usages », résume-t-il.
D'UN RÉSERVOIR D'EAU À UNE CRÈCHE
La conservation des murs existants, l'emploi du bois et la réflexion sur le fonctionnement du bâtiment ont permis à la crèche d'être récompensée au titre des BDM (Bâtiments durables méditerranéens). La qualité thermique des murs, mesurée avant projet, évite l'isolation de la nursery, « un défi, sachant qu'il a fallu réaliser des tests in situ plutôt que de se baser sur les normes réglementaires ».
Pour l'architecte, il faut « se battre pour ce qu'il est possible de changer, tout en respectant ce que l'on ne peut contourner », une posture qu'il adopte dans chacun de ses projets.
La règlementation en vigueur dans les espaces dédiés à la petite enfance n'autorise pas à planter les espaces extérieurs, c'est pourquoi les patios sont habillés ici d'une moquette verte. Le végétal a su pourtant trouver une place dans l'espace public : les pierres ôtées pour percer le volume du réservoir ont été disposées au niveau du parking devant la façade sud. Tout en mettant les voitures à distance, elles offrent la structure d'un jardin urbain expérimental.
⇒ POUR ALLER PLUS LOIN
♦ Conférence de Matthieu Poitevin au Pavillon de l'Arsenal sur la reconversion de la Friche la Belle-de-Mai :
♦ Francesco Della Casa, La Friche la Belle de Mai, Actes Sud, 2013.
Article paru dans EcologiK 56 : Villes intelligentes... et durables ? (déc-janv-fév 2017-2018) actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne
FICHE TECHNIQUE
♦ Localisation : Friche la Belle-de-Mai, Marseille.
♦ Programme : crèche de 50 berceaux.
♦ Maîtrise d'ouvrage : Association pour la création d'un lieu multi-accueil pour la petite enfance, présidée par Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre.
♦ Maîtrise d'ouvrage déléguée : SCIC SA Friche la Belle-de-Mai.
♦ Maîtrise d'œuvre : ARM Architecture, Matthieu Poitevin et Pascal Raynaud (architectes), Clotilde Berrou (chef de projet).
♦ Bureaux d'études et entreprises : DVVD (structure), G2i Ingénierie (fluides), Alayrac (économiste), William Martin (environnement), Noé construction (clos et couvert), Énergétique sanitaire (CVC, plomberie), Sontec (électricité).
♦ Surface : 600 m2 Shon.
♦ Calendrier : 2009, projet ; 2012, livraison.
♦ Coût : 1,1 million d'euros.
♦ Système constructif et matériaux : radier béton 25 cm coulé dans la structure existante en pierre, système poteaux-poutres en bois pour soutenir la terrasse, cloisons bois, extension en pin Douglas.
♦ Performances énergétiques : RT 2012, performance énergétique de l'enveloppe BBC - 50 %.