Rédigé par Dominique Gauzin-Müller | Publié le 29/10/2014
Fabienne Bulle a la transmission dans la peau et l’âme généreuse. Depuis quatre ans, elle mène à l’École spéciale d’architecture (ESA) un atelier qui « revendique la fabrication du projet à travers l’expérimentation par les étudiants de la construction dans des territoires en développement ou des régions touchées par des catastrophes naturelles (L’Aquila, Haïti) ». Le processus comprend l’exécution de maquettes à toutes les échelles de l’appréhension de l’espace et de la mise en œuvre, y compris des détails d’assemblage grandeur nature... mais il manquait la réalité physique de la construction in situ. C’est là qu’entre en scène Thomas Gimbert, ancien étudiant de Fabienne et talentueux architecte-entrepreneur1. Partageant valeurs humanistes et amour de la matière, ils décident de monter ensemble un atelier fondé sur le learning by making. Au Pérou, où Tom vit depuis plusieurs années, sa connaissance du site et ses nombreux contacts vont permettre de passer de la théorie à la pratique. Cette initiative solidaire ambitieuse a été portée par de nombreux autres acteurs : l’ingénieur Philippe Cœur, les artisans péruviens d’Eco Wekk, l’architecte Max Gimbert… et bien sûr les 26 étudiants en master de l'ESA.
La fin de l’habitat précaire
Les projets humanitaires réussis s’appuient sur une ONG locale. Ici, c’est l’Apneyo Divino Niño Jesús, une association qui propose une structure éducative dans laquelle des enfants et adolescents handicapés peuvent recevoir un enseignement adapté. Elle est basée sur la côte nord du Pérou, à Máncora, un ancien village de pêcheurs en pleine expansion, dont les vagues attirent de plus en plus de touristes. Comme dans toutes les villes qui ont grandi trop vite, la situation est fortement contrastée : tandis que vacanciers et surfeurs profitent de luxueux hôtels en bord de plage, la population autochtone est confinée en zone urbaine dans de l’habitat précaire. C’est l’Apneyo qui a dirigé l’équipe de l’ESA vers cinq familles dont le logement nécessitait une amélioration. L’agrandissement de l’existant ou son remplacement devait radicalement améliorer leur qualité de vie. La démarche combinait la conception d’espaces adaptés à chaque cas particulier, mais également le développement de prototypes pouvant être facilement reproduits. Le bambou, en provenance de forêts de l’Équateur, est le matériau principal. Certaines tiges ont été écrasées pour former des plaques, assemblées ensuite en parois étanches, mais la plupart ont été utilisées en structure. Le travail a commencé sur la plage : nettoyage et ponçage avec une brosse métallique, puis percement des tubes avec une tige en acier et traitement avec de l’eau ammoniaquée pour éviter les attaques par les insectes, suivi du séchage au soleil. Ensuite, chacune des cinq équipes est partie vers son chantier, dans différents quartiers de la ville.
Objectif atteint !
La concrétisation appelait un financement adéquat : le groupe a donc établi un budget prévisionnel mettant en regard dépenses globales et espoirs de subventions. Malgré une implication importante des participants, les besoins s’élevaient à environ 25 500 euros. Grâce à des dons d’entreprises et au soutien de 74 donateurs via la plate-forme Kisskissbankbank, la somme permettant de lancer l’opération a été atteinte peu de temps avant le départ pour le Pérou. Sur place, le chantier a demandé de gros efforts physiques auxquels certains étudiants étaient mieux préparés que d’autres, mais les encadrants et les ouvriers d’Eco Wekk ont déployé tout leur savoir-faire. Le partage de compétences et d’expériences avec les artisans locaux était un autre enjeu majeur du projet.
Vivre mieux
La tradition veut ici que l’on accroche à l’entrée d’une nouvelle demeure une bouteille de champagne, cassée avec un marteau pour apporter du bonheur. Les inaugurations ont donné lieu à des scènes émouvantes, relayées comme l’ensemble des travaux par le blog des étudiants. Pour les familles impliquées, l’emménagement dans un habitat plus confortable s’accompagne de profondes transformations dans leur vie quotidienne. Les jeunes handicapés vont pouvoir grandir au milieu de leurs frères et sœurs valides dans des espaces lumineux, mieux ventilés et plus sains. Fabienne Bulle imagine déjà un élargissement des ateliers par l’expérimentation au sein de l’ESA. Quant à Tom Gimbert, qui partage sa vie entre France et Pérou, il rêve d’offrir de vraies maisons à d’autres familles, avec le soutien de son équipe péruvienne, de professionnels et d’étudiants en architecture du monde entier. À bientôt à Máncora…
1. Voir « Ecolodge au Pérou », EcologiK 29.