Un milliard d’humains survit aujourd’hui dans des conditions précaireset leurs rangs ne cessent de s’accroître. En tant que représentants des professions qui façonnent collectivement l’environnement bâti, nous portons la responsabilité de résister à cette intolérable situation et prenons ici la parole pour définir une position alternative.
Tant dans les milieux urbains que ruraux, il est primordial de produire des espaces qui résistent à l’exploitation, au contrôle et à l’aliénation. Avec toute notre expertise, notre créativité et notre puissance individuelle et collective, nous devons nous impliquer de manière plus dynamique dans une recherche globale d’équité. À travers plusieurs projets pilotes, nous avons déjà initié une approche plus humaniste de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, en travaillant avec un solide réseau de communautés, d’artisans, de concepteurs, de constructeurs et d’organisations partenaires. Mais il n’est pas suffisant que ces pratiques alternatives continuent de se développer, un accroissement substantiel de leur échelle est impératif. Guidés par une compréhension plus profonde des aspirations et des besoins, ainsi que par les principes fondamentaux décrits ci-dessous, il est urgent de multiplier nos efforts pour améliorer la qualité écologique, sociale et esthétique de l’environnement bâti, tout en inventant des processus de conception plus efficaces, afin d’anticiper l’augmentation de la population mondiale.
1. Collaborer d’égal à égal
Nous devons nous engager à des échanges respectueux et à une coopération avec les résidents et les communautés, partenaires clés pour initier un changement positif. L'impact d'un processus participatif s'étend au-delà du résultat du projet ; il responsabilise les individus et cultive une atmosphère constructive aux effets durables. Il convient cependant de prévoir le temps nécessaire à l’instauration d’un dialogue empreint de respect, de curiosité, de souplesse et d’empathie.
2. Soutenir l’économie locale
Les projets doivent mener à la création d’une œuvre chargée de sens. Concevoir des édifices, des espaces urbains, des paysages et des produits avec des préoccupations humanistes donne l’avantage aux petites entreprises du bâtiment, de l'agriculture et de l’artisanat. En optant pour des techniques basées sur le travail manuel et les matériaux non standardisés, nous pouvons soutenir une forme décentralisée de la construction et des autres productions. Initier une atmosphère favorable à l’esprit d’entreprise et à l’innovation est important pour tisser des liens entre les artisans locaux et l’industrie mondiale. De nouveaux modèles d’autoconstruction pour les populations à faibles ressources doivent également être explorés, en combinant éducation et apprentissage, afin de générer des revenus sur le long terme. La création d’emplois est en effet fondamentale pour une plus grande équité et pour la paix.
3. Déployer la beauté
La beauté est un besoin humain essentiel, fortement lié à la dignité. Nous devons lutter pour une harmonie authentique, en résonnance avec la population, le territoire et le génie des lieux. Le désir de beauté peut être plus fort que la peur, et devenir ainsi un catalyseur crucial du mieux-être de tout habitant de la Terre.
4. S’adapter au local
Le modernisme a globalement nivelé les différences culturelles et entravé l’adéquation avec chaque contexte. Il est indispensable que chaque projet soit basé sur l'observation attentive des conditions géophysiques, des traditions constructives et des hiérarchies spatiales régionales. Les connaissances sur les techniques du bâtiment doivent être adaptées aux conditions climatiques, aux savoir-faire ainsi qu’aux matériaux et aux sources d'énergie disponibles à proximité. Une conception sensible aux sites et aux cultures contribue à l'autosuffisance et à des économies régionales plus « durables ».
5. Comprendre le territoire
Alors que concepteurs et décideurs concentrent actuellement leur attention sur les métropoles et les zones à forte densité, les grandes agglomérations sont profondément dépendantes d’unités de vie plus petites et de leurs paysages. Les projets écoresponsables sont enrichis du va-et-vient entre les échelles : le local, le régional, le national, le global. Ils respectent le riche réseau de relations sociales, économiques et écologiques existant, s’adaptent à lui et accompagnent son essor.
6. Former les concepteurs
Les étudiants ne sont pas suffisamment formés pour participer à un changement en faveur des populations précarisées. Il est indispensable que l'enseignement évolue radicalement afin que les jeunes professionnels s’avèrent capables de combler le fossé entre la conception et la mise en œuvre, de comprendre les nuances entre les divers sites et territoires, et d’échanger plus intensément avec les communautés locales et les décideurs. En bref, il faut insuffler une plus grande empathie sociale. Par ailleurs, les aptitudes manuelles doivent être développées au même titre que les compétences intellectuelles et numériques. Élaborer le bon processus est tout aussi important que concevoir le bon produit.
7. Repenser la politique
Les infrastructures intégrées, les nouvelles collaborations et les approches innovantes de développement et de financement de projets doivent se traduire par une stratégie politique globale. Un profond changement est nécessaire dans notre manière de concevoir, d’implanter et de construire les habitats humains. Il demande de combiner les processus bottom-up et top-down afin de favoriser des échanges plus productifs entre les résidents, les décideurs, les institutions financières, les professionnels qui imaginent les projets et ceux qui les mettent en œuvre. Cela demande la mobilisation de ressources humaines et financières massives pour expérimenter de multiples solutions, de meilleure qualité et peu coûteuses, afin de venir en aide à un maximum de personnes.
L’application de ces principes déclenchera l’impulsion nécessaire à une réorientation radicale de toutes les disciplines créant l’environnement bâti. Il est primordial de remplacer les pratiques égocentriques actuelles, fondées sur le top-down, par une coopération « transparente » tout le long du cycle de conception, d’édification et d’appropriation. La créativité est le meilleur instrument dont nous disposons pour définir le monde dans lequel nous voulons vivre.
*en anglais « à la recherche d’un processus »