
Laurence Baudelet-Stelmacher
Directrice de Graine de Jardins
Comment l'agriculture prend-elle forme en ville ?
On a encore l’impression que les activités agricoles et les activités urbaines sont antinomiques, ce qui pourtant n’était pas le cas dans le passé, où, au Moyen Âge en Île-deFrance, existaient une culture de la vigne très importante, une ceinture maraîchère variée, des fermes et de l’élevage. L’urbanisation a grignoté les terres agricoles et repoussé de plus en plus loin l’agriculture aux franges de la région parisienne. On constate aujourd’hui un mouvement de retour à l’activité agricole. Cela touche aussi bien des projets de « plein champ» que des projets hors-sol – en toiture, dans les caves ou sur des parkings, etc. Les jardins collectifs, en ce qui les concerne, n’ont pas de vocation commerciale ni économique dans le projet, même si cela participe à l’économie du ménage ou d’une famille. Il est d’ailleurs interdit, dans le code rural, de vendre les produits issus d’un jardin familial. On constate en ville une diversité d’activités et de statuts, entre le maraîchage, les arbres fruitiers, les vergers, l’apiculture urbaine, etc. Quelle que soit la forme, des compétences agricoles sont nécessaires. Rien que dans le domaine du maraîchage : le maraîcher doit savoir faire pousser une grande diversité de plantes et acquérir une maîtrise technique, mais il doit également être un bon communicant afin de faire connaître sa structure, et un bon vendeur pour intégrer un réseau d’acheteurs; ce qui n’est pas évident à mettre en œuvre. C’est pourquoi quelques-uns font le choix de s’associer et de travailler avec des acteurs locaux pour vendre leur production en circuit court –coopératives alimentaires, AMAP… –, ou de s’organiser en association en vue de partager les compétences et les expériences, et s’ouvrir au public pour le sensibiliser à l’alimentation.
Ces jardins partagés subissent-ils une pression foncière ?
Le territoire parisien compte aujourd’hui 119 jardins partagés, dont 8 solidaires, aménagés principalement sur des terrains appartenant à la Ville pour 83 d’entre eux, ou à des bailleurs sociaux pour 21 autres. La Seine-Saint-Denis est de même très dynamique et en accueille plus de 60, dont la moitié à Montreuil. Néanmoins, les jardins partagés installés sur des friches sont pour certains menacés par des opérations d’urbanisme et, souvent, le choix doit se faire entre des opérations de densification et la préservation d’espaces de nature. Par exemple, un des premiers jardins partagés de Paris, le Jardin Solidaire, se trouvait rue des Haies, dans le 20e arrondissement. C’est Olivier Pinalie, un artiste plasticien qui, en 2000, a investi un terrain vague de 3000mètres carrés, sans autorisation de la Ville au départ, afin d’en faire un « jardin solidaire, ouvert au quartier». Il explique l’histoire de ce jardin et du collectif qui l’a géré dans son livre Chronique d’un jardin solidaire* . La Ville a souhaité construire, en lieu et place, un gymnase dont le projet était soutenu par une partie des habitants, mais non par d’autres, qui préféraient conserver le jardin, devenu une sorte d’équipement de quartier autogéré, avec une scène partagée et un lieu de rencontre ouvert à tous. La Ville a tranché le débat en proposant un gymnase avec un jardin partagé en toiture. Il s’agit du gymnase des Vignoles, ruedesHaies, qui a été inauguré en 2009. C’est aujourd’hui un jardin d’insertion sociale de 600mètres carrés, qui comprend des bacs avec terreau et un jardin partagé. On y accède par un escalier extérieur. Le jardin est géré par des associations de quartier, le Jardin Perché et les Jardins du Béton. L’ancien Jardin Solidaire est néanmoins resté dans la mémoire des jeunes du quartier, qui se sont sentis dépossédés du jardin initial et ont régulièrement investi la toiture.
Comment se partagent les jardins ?
Le jardin partagé fonctionne grâce et par un projet social, qu’il faut faire vivre et porter. Il s’agit d’un espace à la fois public et privé, une catégorie nouvelle à laquelle les gens ne sont pas encore habitués, ce qui fait que, parfois, ils n’osent pas entrer sur la parcelle. Dans le cas de Paris, les jardins partagés doivent être ouverts plusieurs demi-journées par semaine au moins au public et lorsqu’un membre de l’association est présent; en contrepartie, l’association ne paie pas de loyer auprès de la mairie. Il faut ensuite s’assurer de la compréhension des valeurs du jardin au sein des adhérents., rappeler le cadre et cette notion du partage et de l’ouverture à l’autre. À l’inverse, il faut également que les gens qui fréquentent les jardins soient respectueux des lieux.
Comment voyez-vous l'avenir des jardins en ville ?
L’intérêt des villes est de développer les jardins partagés, qui sont très demandés par les citadins. Dans le contexte actuel de changement climatique, nous en aurons de plus en plus besoin pour apporter de la fraîcheur, de l’humidité à l’îlot de chaleur urbain. Ils sont, en outre, très utiles en cas d’inondation car ils perméabilisent le sol et limitent les dégâts causés par les crues. C’est aussi un moyen ludique de mettre en scène la trame verte et bleue et de faire naître de nouveaux paysages urbains. Les villes vont devenir des petites réserves de biodiversité. Par ailleurs, les jardins partagés contribuent à créer des liens sociaux, au « vivre ensemble », c’est un enjeu de plus en plus crucial dans une société de l’entre-soi. La question de la densification se pose. Jusqu’où construire et densifier ? Si nous densifions trop, nous produirons du mal-être du fait du manque d’aménités. C’est en cela que le jardin est aussi un objet de justice sociale.
* Éditions CNP-RP, 2016
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