Encerclé de hauts murs, l’endroit était encore invisible il y a peu, friche militaire à la croisée des 3e, 7e et 8e arrondissements lyonnais. Aujourd’hui, si ces 17 hectares sont pris d’assaut, c'est surtout par les promeneurs. Métamorphoser une caserne en parc urbain, en plein centre de Lyon, était un challenge difficile. Quand ils le relèvent en 2011, les paysagistes de l’agence Base – comprendre « Bien Aménager Son Environnement » – héritent d’un espace qui emprunte davantage au vocabulaire des forces armées qu’à celui des aires de jeux. Deuxième emplacement de la ceinture de défense rhodanienne, la caserne Sergent Blandan se compose en effet d’un empilement de strates militaires, dont le point central, le château de la Motte, se double d’un anneau périphérique diffus, organisé en une succession de bastions.
Métamorphose d’un site militaire
« Nous n’avons pas fait table rase du passé du site, explique Clément Willemin, paysagiste chez Base. Au contraire, nous nous sommes inscrits dans la logique de ses vastes dimensions déterminées par le tir au canon, en adaptant la place d’armes et les différents fronts défensifs à des considérations plus urbaines et écologiques. » À l’avant du parc, l’immense espace a donc vu sa forme redéfinie et précisée : « En ville, il est rare de trouver un vide de cette ampleur : nous avons donc décidé de mettre à profit son gabarit et son grand dégagement pour les évènements lyonnais. » L’aménagement débute donc par une esplanade dénudée de 2 hectares, qui accueille aujourd’hui la plus grande aire de jeux de Lyon. Avec ses trois toboggans et ses deux couloirs de grimpe, la superstructure en robinier et douglas, de 60 mètres de long et 8 mètres de haut, déploie désormais ses 1 100 mètres carrés de platelage en fond de terrain. Le lieu possède une autre particularité, celle de vivre au rythme des épisodes pluvieux. Bombée, la surface possède à ses extrémités deux lames en béton rouillé qui, lorsqu’il pleut, recueillent les eaux, ensuite évacuées par les tranchées drainantes creusées en souterrain. « Nous avons considéré que c’était un motif de projet intéressant. Au total, un million de mètres cubes peuvent ainsi être récupérés, et aucun rejet d’eau pluviale n’est effectué sur le réseau. » Résultat, la place, l’une des rares inondables en France, fonctionne en véritable vase clos, et transforme le mauvais temps en argument pour s’amuser : la moindre goutte devient une pataugeoire pour les enfants !
Moments de grâce
Au bout de la place, direction le ring, qui fait le tour du parc et mène jusqu’à l’ancien champ de manœuvre. Dans ce lieu reconquis par les peupliers, la friche a été détournée par les paysagistes, qui envisagent, avec une sélection progressive de la végétation, de le transformer en chênaie. Pour le moment, les traverses forestières qui le parcourent conduisent le visiteur dans des ambiances de fourrés atypiques, moments de grâce dans l’hypercentre lyonnais. Délimités par des entrelacs de branches mortes, les chemins se glissent d’un trait dans la végétation. Des bancs, calés à cheval entre l’allée et la nature, approfondissent le rapport qu’entretient habituellement le mobilier urbain avec l’espace environnant. Mais c’est à la lisière de la ville et des barres hlm que l’aménagement réserve sa plus belle surprise : avec vue sur les tours, la dalle des hangars démontés se transforme en jardins de reconquête. De fissures en craquelures, l’endroit n’a volontairement pas été désherbé : les paysagistes font confiance à la friche pour envahir chaque interstice où le béton militaire est affaibli. En découle un lieu d’entropie, mélange de sport et de végétal : les arbres morts y étendent leurs branches au milieu des aires de fitness, et le « paillage » en enrobé cassé laisse des fragments du tiers-paysage* s’insinuer dans les terrains de handball. Un mot encore sur le skatepark qui accompagne le cheminement principal – en pied de nez aux adeptes de ce sport, une moquette en faux gazon fait office de zone de sécurité à l’intérieur de la structure. Les gamins y bullent en chaussettes – mais ne sont-ils pas un peu chez eux ?
* Concept créé par le paysagiste Gilles Clément, le tiers-paysage désigne l’ensemble des endroits où l’homme laisse l’évolution du paysage à la nature.