Mais l'installation de Fujiko Nakaya n’a pas de quoi hérisser les courroux. En enveloppant l’icône américaine dans une brume mystérieuse, la « sculptrice » japonaise vient même parfaire le projet de l’architecte en prolongeant son rêve de dématérialisation. Rappelons que la maison, réalisée en 1949, doit son entrée dans l’histoire de l’architecture au verre de ses parois qui fait disparaître les limites entre intérieur et extérieur et transforme la perception de l’espace. Le brouillard comporte, selon l’artiste, des propriétés comparables : avec lui, « ce qui est visible devient invisible, et ce qui est invisible - comme le vent - devient visible ». Jusqu’en novembre, les visiteurs des lieux peuvent en faire l’expérience : dix minutes par heure, libre à eux de traverser les nappes informes qui entourent l’habitation pour mieux s’y perdre ou deviner ses contours, encore plus troubles.
Changement de "nature"
Soixante-cinq ans après s’être dissoute dans son paysage, la maison de New Canaan pourrait bien disparaître sous l’effet de son succès. En effet, le nuage se transforme au gré des conditions météorologiques mais interagit aussi avec la présence humaine : une hausse de température ou d’humidité en un point accroît sa densité, brouille la visibilité et assourdit les sons. La matière se configure et s’évanouit donc au fil des déambulations des usagers, tandis qu’en sous-main, capteurs, programmateurs, rampes de buses, pompes et valves se coordonnent pour régler le mouvement des particules d’eau. L’évanescence de l’œuvre tient paradoxalement à un dispositif technique sophistiqué. À la croisée de l’art et des sciences, l’artiste - qui est aussi la fille du physicien inventeur des cristaux de neige artificielle -, a conçu une soixantaine de sculptures atmosphériques depuis les années 1970. Chacun de ses brouillards porte dans son titre le numéro de code international de la station météo la plus proche. Ou comment la « verdure » des modernes a laissé place au « climat » contemporain, et la vue à l’invisible.