Tout le monde est censé y trouver son compte : les animaux et les végétaux formant la biodiversité ordinaire, et les usagers - urbains renouant avec la nature et ruraux préoccupés de l'étalement urbain.
Née de la loi Grenelle I adoptée en 2009, la Trame verte et bleue s'élabore dans les régions sous l'égide des schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE). Objectif : enrayer l'isolement génétique des espèces en leur permettant de retrouver des habitats. Un site dédié recense les initiatives en cours. En ville, la Trame verte et bleueest d'abord composée de tous les espaces verts urbains : jardins particuliers, parcs publics, friches, pelouses d'immeubles, potagers, etc. Leur qualité écologique dépend en partie de la structure de l'urbanisation. Les centaines d'inventaires floristiques dans le département des Hauts-de-Seine, par exemple, attestent qu'un espace vert renferme d'autant plus d'espèces qu'il est situé près d'autres espaces verts à haute qualité floristique et séparé par une urbanisation qui autorise les échanges entre eux.
Le programme de recherche « Trame verte urbaine » mené de 2009 à 2012 a impliqué sept villes : Marseille, Paris, Angers, Nantes, Strasbourg, Montpellier et Rennes.
Coauteur de cette étude, Philippe Clergeau observe qu'en ville, les vrais réservoirs de biodiversité sont en périurbain ou en bordure de ville, mais aussi dans les friches. Il reste à impliquer les espaces privés, notamment des entreprises et des jardiniers amateurs, dans la construction de communautés écologiques. Un nouvel urbanisme doit s'emparer des enjeux d'une biodiversité urbaine.
Exemple : libérer les pieds d'arbres de leurs grilles. Dès lors, ils deviennent de véritables « tapis rouges » car ils propagent la flore spontanée, comme la laitue sauvage et jusqu'à une quarantaine d'espèces décelées au pied des arbres du Parc de Bercy à Paris. À Bâle, en Suisse, le service des Parcs et promenades invite les citoyens à entretenir les pieds d'arbres depuis 1983, selon un contrat d'adoption de deux ou trois ans. De manière générale, les allées d'arbres sont la voie royale pour la biodiversité.
Un nouvel urbanisme
La biodiversité peut également être source de créativité pour les architectes. La métropole de Strasbourg a fait de la Trame verte et bleue l'une des priorités de son plan d'urbanisme. L'Eurométropole, qui rassemble 33 communes sur 340 kilomètres carrés, a décidé de lui consacrer un volet entier de son futur plan local d'urbanisme intercommunal (Plui) ainsi qu'à l'urbanisme durable : regroupement des constructions, limitation de la bétonisation, végétalisation des espaces, transitions végétales entre le bâti et la voirie, entre la ville et la campagne… Les aménagements préconisés sont à la portée de tous : format des clôtures (pour laisser passer la petite faune), choix de végétaux locaux, mise en place d'habitats (nichoirs, tas de pierres, murets pour abriter insectes, oiseaux… ).
À Genève, les trames inscrivent dans le marbre la protection des connectivités. Tout projet d'urbanisation, d'infrastructure ou d'agriculture devra respecter leur intégrité. Parmi les corridors du Grand Genève, celui d'Arve-Lac s'étend sur une superficie d'environ 17 300 hectares et concerne 12 communes suisses et 13 françaises. Il est caractérisé par de grandes entités forestières, un réseau aquatique important, des milieux humides, de nombreuses prairies intraforestières et des espaces agricoles à forte valeur entre montagne et lac.
En France, le degré d'opposabilité se borne à la prise en compte de la Trame verte et bleue dans le document intercommunal, même si certains documents d'urbanisme ou grands projets devront être compatibles avec le SRCE. C'est le cas du centre géant de loisirs Europacity projeté au nord de Paris, près des pistes de l'aéroport de Roissy, dans le triangle de Gonesse (Val-d'Oise). Le commissaire enquêteur, dans un rapport rendu public le 23 août 2017, a retoqué ce grand projet d'aménagement en raison de points d'impacts « très négatifs » sur la biodiversité et les milieux naturels.
Des villes réenchantées
Les villes sont le fer de lance de l'exemplarité environnementale. Elles disposent pour cela de leviers tels que les PLU pour contrôler l'étalement urbain et libérer du foncier pour les filières agricoles courtes. Au final, ce sont les maires qui ont le pouvoir sur l'utilisation des sols. À l'échelle des Scot (Schémas de cohérence territoriale), ce sont aussi les maires qui peuvent, par exemple, encourager l'implantation de Trames vertes et bleues.
À Rennes, la candidate socialiste aux municipales, Nathalie Appéré, les a d'emblée inscrites dans son programme électoral, ce qui a peut-être contribué à son élection comme maire :
« La nature est très présente dans notre ville, mais n'est pas encore valorisée comme elle devrait l'être. Ainsi, nous disposons d'espaces qu'il nous faut à la fois aménager pour créer des lieux d'intérêt écologique, mais aussi travailler à les relier les uns aux autres pour former des trames vertes ou bleues permettant des mobilités agréables, des animations ludiques, la préservation de la biodiversité et tout autre usage que les habitants imagineront avec nous. »
La ville a été élue capitale de la biodiversité en 2016. À Nantes, la Trame verte s'étend sur 3 000 hectares. Elle est constituée d'espaces naturels herbacés à arborés : haies bocagères, boisements, mais aussi prairies, zones humides, milieux ouverts, landes. .. Avec ses 1 000 kilomètres, la Trame bleue est constituée d'un réseau aquatique et humide : fleuves, rivières, canaux, étangs, zones humides, mares. .. Qu'elle soit verte ou bleue, la structure de la Trame est constituée d'un ensemble de réservoirs de biodiversité reliés entre eux par des corridors écologiques. Nantes Métropole a également identifié ses composantes pour construire le projet de développement du territoire, dans le cadre de son futur Plui. Voies vertes, emprise des tramways, berges et rives sont autant de vecteurs de biodiversité.
Transformer les imaginaires
Au-delà d'aménagements ponctuels, il s'agit bien, comme le souligne l'ingénieur-urbaniste Robert Spizzichino, d'« intégrer dans la décision l'existence d'objectifs de long terme, prendre en compte l'éventualité ou la nécessité de ruptures, élaborer des stratégies de transition… Il faut aussi transformer les imaginaires collectifs, lever les blocages aux changements, et élaborer en commun les voies d'évolution vers d'autres modes de consommer, de produire, d'habiter, de se déplacer ou d'accéder à la nature. Certains ont commencé d'énoncer quelques principes méthodologiques structurants : penser systèmes plutôt que catégories de territoires, penser réseaux plutôt que local, penser transitions plutôt que protections. » Ou, comme le proposait l'activiste américaine Jane Jacobs, favoriser une vie sociale inorganisée de la rue, une vie informelle, citoyenne, associative, qui investit les rues par des interfaces revivifiées entre espaces privés et publics -frontage , pour reprendre une expression québécoise qui désigne la bordure d'un immeuble. La marche, le vélo, et, de manière générale, les déplacements sans moteur favorisent l'émergence de ces espaces libres et verts dans les rues réconciliées.
Article paru dans Ecologik 58 : Confort et économie, les vertus du bois