Triste vérité, souvent passée sous silence, que les rebuts générés par la profession de maître d’œuvre. Rien qu’en Île-de-France, 74 % des déchets proviennent pourtant du BTP. Au Pavillon de l’Arsenal, une exposition ose enfin fouiller dans la poubelle des architectes. Commissaires de cet événement, Nicola Delon et Julien Choppin, du collectif Encore Heureux, y exhument quelques constats alarmants. Au rythme d’une piscine olympique de béton consommée toutes les quinze secondes dans le monde, 90 % des plages seraient en effet menacées de disparition, sur une planète qui serait à court de ce matériau dans trente-cinq ans... Cette pénurie imminente oblige à repenser au plus vite l’exercice du métier d’architecte. Avec humour et bonne humeur, l’exposition donne des pistes au concepteur frugal, sous un titre joliment éloquent, « Matière grise » : « Si le monde présente des ressources finies, analyse Julien Choppin, les ressources intellectuelles, elles, sont en effet infinies. Des solutions existent, mais elles ne peuvent s’envisager qu’avec un effort d’intelligence collective. » D’autant que le réemploi, en matière d’architecture, ne date pas d’hier. « On en parlait déjà à l’époque des Romains, rappelle Nicola Delon. Au final, c’est seulement sur une parenthèse de trois générations que nous avons oublié la nécessité d’économiser la matière. »
Bouteille-brique
Nous apprenons donc que Le Corbusier, avec la chapelle de Notre-Dame-du-Haut, et Jean Prouvé, avec ses structures nomades, avaient en leur temps déjà opté pour le recyclage et le réemploi. Les anecdotes amusantes, par ailleurs, ne manquent pas, pour prouver que le questionnement a de la bouteille – à l’image de la Wobo, ce récipient que la marque Heineken avait mis au point pour servir de brique… L’étonnement se poursuit avec les réalisations remarquables d’ingéniosité présentées dans l’exposition. Soixante-quinze projets et autant d’histoires, analyse Nicola Delon : « Chaque bâtiment possède sa propre pertinence de narration ; derrière, il y a toujours un récit formidable. » De l’agence Rural Studio, avec sa Lucy Carpet House aux murs en dalles de moquette, au Lavezzorio Community Centre en béton composé de ciment et de granulats issus de lots invendus, les résultats sont surprenants. Une esthétique haute en couleur, qui, malgré l’urgence de la situation, fait plaisir à voir.