Rédigé par Dominique Gauzin-Müller | Publié le 05/02/2014
I3F s’est intéressé au BBC dès 2008 et s’est engagé récemment dans un projet à énergie positive à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Pourquoi cet intérêt pour les questions énergétiques ?
D’abord dans un souci de qualité de nos logements. C’est d’ailleurs une préoccupation croissante chez beaucoup de bailleurs, qui font désormais de la réduction des charges des locataires une priorité, car ils ont compris que le poste énergie devient un deuxième loyer. Ensuite, il est important pour nous, en tant qu’opérateur social de référence, d’être force de proposition. I3F participe à la politique de rénovation urbaine avec cinquante-huit opérations dans toute la France et nos constructions neuves sont labellisées au minimum BBC et certifiées Habitat & Environnement profil A. Le projet à énergie positive de Brétigny va nous permettre de voir ce qui est pertinent dans nos choix techniques, de comprendre comment communiquer sur ce sujet avec les locataires, de lancer des campagnes de mesures pour faire la différence entre la théorie et la pratique… et d’avoir une longueur d’avance sur la réglementation.
Comment travaillez-vous un tel projet avec vos collègues ?
Nous travaillons de la source, c’est-à-dire du choix du foncier, jusqu’au bâtiment fini. Trouver au bon endroit le terrain pertinent, c’est répondre à bien des exigences en matière d’énergie et de transports. Venir en réparation n’est jamais aussi performant que de bien traiter la question dès le départ. Ce travail en amont est devenu pour nous primordial. D’une manière générale, je ne crois pas au logement domotisé et à la sophistication. L’habitat doit rester quelque chose de simple, je dirais presque de rustique dans son utilisation. Le recours à la technique doit être aisé et on doit, à l’usage, l’oublier.
Cette approche, qui met dès le ! départ l’accent sur les enjeux, est-elle nouvelle pour I3F ?
Ma première mission, quand je suis arrivé fin 2006 chez I3F, a été de refondre le cahier des charges. Nous avons demandé à des experts externes (un bureau d’ingénierie, deux agences d’architectes et un bureau d’études énergie) d’alimenter la nouvelle version de leurs réflexions. Ce travail, que nous avons mené avec les services de gestion et de construction, nous a pris un an. Nous avons lancé en parallèle un plan de formation pour l’ensemble des collaborateurs d’I3F, aussi bien les techniciens que le personnel de proximité. Tous doivent savoir dialoguer sur ces questions environnementales et énergétiques avec les ingénieurs et les architectes, mais aussi avec nos locataires. Ce thème de l’énergie fédère les équipes autour d’opérations novatrices. Aujourd’hui, un chef de projet I3F sait ce que consomme un bâtiment BBC.
Comment réagissent les autres bailleurs à vos projets ?
Chacun observe les innovations des autres et certains se demandent, à propos de notre projet de Brétigny-sur-Orge, si la ventilation double flux sera pertinente, si les locataires ouvriront les fenêtres en permanence, si le séchoir installé dans chaque logement sera utilisé comme tel ou comme un lieu de rangement… Mais nous ne maîtrisons pas tous ces points, car les gens sont libres d’habiter chez eux comme ils l’entendent. Nous sommes tous curieux d’analyser les avancées et les limites de ces innovations. Il nous revient d’être moteurs et de montrer que des changements sont possibles.
Quelles sont les personnes motrices chez I3F ?
C’est notre directeur général, Yves Laffoucrière, qui a impulsé cette politique environnementale. La création de ma direction a permis d’accompagner ces nouvelles ambitions au moment de la mise en application de la RT2005. En ce qui concerne notre parc ancien, la direction technique a également une action importante sur la réhabilitation. Alors que le groupe 3F produit 6 000 logements par an, son patrimoine est de 195 000 logements. Une grande partie du travail se fait donc sur le stock. Les réflexions sur la problématique énergétique existent d’ailleurs depuis longtemps dans l’entreprise : dans les années 1980 et 1990, I3F, comme beaucoup de bailleurs sociaux, a réhabilité une grande partie de son parc à l’aide de l’isolation par l’extérieur (opération PALULOS).
Comment est né votre intérêt pour ces questions ?
Ma prise de conscience remonte à mes études d’architecture, dans les années 1970, au moment des deux chocs pétroliers. À cette époque, on parlait beaucoup d’architecture bioclimatique, de murs Trombe, de capteurs solaires thermiques ? et j’ai travaillé sur des projets qui avaient ces caractéristiques. À partir des années 1980, le prix de l’énergie a chuté. Comme l’argent est le nerf de la guerre, les règles du bioclimatisme ont été oubliées et nous avons perdu beaucoup de temps.
Vous rattrapez donc aujourd’hui le temps perdu ?
Oui, mais comme pour toutes les idées nouvelles, il faut du temps pour les intégrer. Le bioclimatisme est revenu à partir des années 2000, porté cette fois plus par le politique et la maîtrise d’ouvrage que par les architectes et les bureaux d’études. Nous sommes tous séduits, dans les maisons anciennes, par la qualité du bâti, l’épaisseur des murs, la taille des ouvertures, l’accroche au terrain… toute cette très grande logique d’implantation par rapport à des éléments extérieurs contrariants. Chaque fois que je retrouve ces fondamentaux dans l’architecture d’aujourd’hui, je me dis que nous sommes dans le vrai. Les techniques ont changé et il ne faut pas faire du pastiche, mais nous devons retrouver ce bon sens. Cette réflexion sur l’architecture et l’urbanisme est très motivante. Les écoquartiers de Fribourg et de BedZED à Londres ont sans doute été des éléments fondateurs de la dynamique actuelle.
Vous voyez des limites à ces écoquartiers ?
En France, nous avons une culture centralisatrice, un peu à l’opposé de ces expériences alternatives. Les choses partent du haut, s’imposent sur le terrain, et on attend les retours. D’un côté, nous avons des réglementations verticales à dérouler, de l’autre des quartiers exemplaires, initiés ethabités par des gens qui ont souhaité les réaliserpour y vivre. Ce sont deux façons de faire bien différentes… Le Grenelle de l’environnement a été un facteur positif. Il a permis de lisser les approches politiques et de développer une sorte de consensus sur les objectifs en matière de construction neuve et de réhabilitation. La réglementation thermique est désormais acquise et comprise par les bailleurs sociaux, sans doute mieux que d’autres exigences, comme les règles en faveur des personnes à mobilité réduite.
Comment financez-vous l’opération exemplaire de Brétigny ?
La structure de financement est la même que pour tous nos projets. Pour Brétigny, l’aménageur avec qui nous avons souhaité aller au-delà du BBC prévu sur l’ensemble de la ZAC, nous a cédé la charge foncière un peu moins chère.
Les personnes qui logeront dans les bâtiments de Brétigny n’auront pas forcément choisi d’y habiter…
Absolument ! Ces futurs habitants, aujourd’hui en attente d’un logement, nous ne les connaissons pas. Compte tenu des particularités techniques de ce programme, nous accompagnerons les locataires et nous les alerterons sur les bonnes pratiques, mais nous ne pouvons pas être intrusifs dans leur comportement.
Vous envisagez de faire à Brétigny quelque chose de novateur pour mieux transmettre ce message ?
Nous mettrons en place un livret de gestes verts, comme nous le faisons déjà pour nos autres résidences, mais nous irons plus loin en expliquant aux locataires, gardiens et chefs de secteur, certains principes comme celui de la ventilation double flux. Dans chaque logement, nous installerons un écran qui affichera toutes les consommations en eau et énergie, mais aussi la température extérieure… Les locataires connaissent ces données pour leur voiture, mais jamais pour leur logement. L’idée est de les responsabiliser en leur donnant des informations via un tableau de bord compréhensible par tous.
Quels sont, en matière de logement BBC, vos coûts de construction ?
Dans le Tarn, nous construisons à environ 1 000 euros hors-taxe le mètre carré de surface habitable ; en Île-de-France, nous sommes à 1 600 euros. L’appropriation de nouvelles exigences fait augmenter les prix d’environ 5 à 10 % pendant un certain temps, mais aujourd’hui, nous ne ferions pas d’économie si nous abandonnions le BBC. Les prix dans le bâtiment sont volatiles et très conjoncturels. Il est difficile d’apprécier le vrai prix du mètre carré. Faire du passif coûte plus cher que faire du BBC, c’est sûr. Mais je ne saurais pas vous dire la différence réelle.
Certains promoteurs disent que répondre aux exigences du BBC est 15 % plus cher qu’atteindre les labels HPE(1) ou THPE(2). Ce n’est donc pas pertinent ?
Je n’ai jamais été d’accord avec ces chiffres. Notre premier bâtiment BBC, nous l’avons réalisé sans le faire exprès. C’était un programme à l’origine THPE que nous avons pu surclasser grâce à la maîtrise d’œuvre et à l’entreprise. À Brétigny, le mètre carré en BEPOS sera au prix raisonnable de 1 750 euros hors cellules photovoltaïques et moins de 2 000 euros avec ces capteurs solaires.
On dit souvent que le parc social est globalement mieux géré que le parc privé sur le plan de l’énergie. Qu’en pensez-vous ?
Les déperditions thermiques sur l’enveloppe sont en effet souvent plus faibles et la présence d’une chaudière collective au gaz est très courante, ce qui influence les comportements. Pour nous bailleurs, le chauffage individuel est problématique : en cas d’entretien ou de changement d’appareil, tous les quinze ans environ, il faut accéder à chaque logement, ce qui est délicat. L’évolution des systèmes de production de chaleur rend la maintenance possible sans intervention dans les appartements. Avec une chaudière collective, on évite aussi les appartements sous-chauffés ou le vol de calories. Mais la contrepartie est l’impression que la chaleur est gratuite et que la température se gère en fermant ou en ouvrant les fenêtres plutôt qu’en réglant les thermostats des radiateurs. Bien qu’il ait des aspects positifs, le chauffage collectif n’entraîne donc pas systématiquement des comportements vertueux. Nous devons gérer ce genre de contradiction.
Lorsque vous montez aujourd’hui un projet avec une municipalité, sentez-vous que l’intérêt pour les questions énergétiques progresse ?
Lors de l’élaboration d’un projet de logements, nous mettons en place des consultations auxquelles sont invitées les collectivités. Elles participent ainsi aux débats des jurys sur les projets architecturaux et leur inscription dans le territoire. Au début des années 2000, la plupart des acteurs étaient encore résistants ou insuffisamment informés sur cette approche du développement durable. On peut constater aujourd’hui une véritable appropriation de ces questions énergétiques par les collectivités, la maîtrise d’ouvrage et les entreprises.
1. Haute performance énergétique, soit moins 10 % par rapport à la RT 2005
2. Très haute performance énergétique, soit moins 20 % par rapport à la RT 2005