Rédigé par Philippe Madec et Antoine Petitjean | Publié le 25/10/2017
En France, les conceptions et réalisations des villes nouvelles pèchent souvent par systématisme. Les modèles standardisés au gré de dogmes à la peau dure produisent des projets semblables à de nombreux égards ; la ZAC en est le parangon. L'obsolescence anticipée, l'inertie des procédures et la redondance des dispositifs techniques ou spatiaux s'avèrent les points faibles de ces milieux urbains émergents.
La tâche contemporaine vise à chahuter l'homogénéité des opérations « neuves », pour faciliter la diversité des usages et des espaces et renforcer l'adéquation au territoire qui les accueille. Doter les villes nouvelles d'une capacité d'adaptation ressort d'une double condition : confronter les principes organisateurs de l'urbanisation à l'œuvre aux richesses et faiblesses des territoires, et préparer la capacité de la ville à s'enrichir dans le temps : c'est-à-dire devenir autre tout en préservant ses qualités fondatrices.
L'ÉCOVILLAGE DES NOÉS À VAL-DE-REUIL
Dans un méandre de la Seine, proche de la confluence avec l'Eure, baptisée Le Vaudreuil en 1972, la plus jeune commune française Val-de-Reuil est créée en 1981, conçue par les architectes de l'Atelier de Montrouge. La conception du « germe de ville » sur dalle évoque Louvain-la-Neuve qui se réalise alors en Belgique. Pourtant la géométrie orientée et orthogonale du plan général fait écho au hameau voisin de Léry. L'objectif de « 100 000 habitants en 2000 » ne résiste pas à la fin des Trente Glorieuses. La ville tombe en dépression jusqu'au début des années 2000. L'arrivée d'une nouvelle municipalité avec le maire Marc-Antoine Jamet (PS) et l'installation d'activités porteuses telle l'industrie pharmaceutique relancent le projet de ville ; un ambitieux renouvellement urbain soutenu par l'Anru l'autorise. Se souvenir du projet initial redevient fécond : une « raison de faire de Val-de-Reuil un sujet d'observation hors du commun serait de lui restituer, en fait de fiche identitaire, son statut d'origine de ville-pilote en matière de qualité environnementale, d'économie d'énergie, de gestion parcimonieuse des sols, d'innovation dans les procédés de construction et de lutte contre les nuisances », exprime Gérard Thurnauer, l'un des concepteurs du projet1 . Porté par le bailleur social Siloge d'Évreux, la municipalité et des partenaires engagés, l'écovillage des Noés relève d'une consultation Crem (conception, réalisation, exploitation, maintenance). L'ensemble est le fait d'une seule et même équipe maître d'ouvrage/maître d'œuvre/constructeur. Il rejoue la relation fertile de Val-de-Reuil à l'Eure fondatrice. Tous les aspects du vivant y sont conviés, assemblés sur un site inondable : une production horticole, des pratiques sociales, un accueil attentif de la faune et de la flore et des architectures écoresponsables performantes et lumineuses. Le programme initial de 100 logements BBC est repensé. Location, accession et réinsertion sociale accueillent une crèche, une cuisine centrale municipale et une halle ouverte sur une place pour un marché bio. En outre, il atteint le niveau de performance zéro énergie sur base passive, avec une chaufferie urbaine au bois. L'ensemble des acteurs concourt à ce projet abouti. Le parc des berges de l'Eure s'amorce : une maison des jardiniers, l'enclos de pâture des ânes et leur abri ; l'horticulture et les jardins familiaux bio sont portés et accompagnés par une coopérative de réinsertion sociale et posent les bases d'une vie partagée intense, soutenue par le bailleur et accompagnée par les coopérateurs et le WWF au titre du programme One Planet Living. Les ambitions environnementales se réalisent à tous les étages. En écho au positionnement héliotropé et bioclimatique du hameau de Léry, le tissu urbain de ce quartier piétonnier se protège des vents forts de la vallée de la Seine, aspire le soleil et la lumière pour tous. Comme la crèche, les logements répondent aux objectifs de la qualité environnementale : du point de vue énergétique ils sont passifs pour le chauffage, BBC (Bâtiment basse consommation) pour les usages. Ils sont traversants, ouverts à leur environnement, des persiennes bois repliables protègent les menuiseries, l'isolation par l'extérieur est recouverte par des bardages bois, zinc, ardoise et enduit, toutes les salles de bains ont des fenêtres ouvrantes, etc. Écoconstruction, végétation, eau et biodiversité accueillies, activités sociales et création d'un bras de dérivation pour gérer les crues et constituer une frayère à brochets : il ne reste plus qu'aux poissons à s'investir !
1 « Val-de-Reuil peut redevenir une ville-pilote », article du Moniteur o 5235, 26 mars 2004. Les concepteurs du projet sont Jean Renaudie, Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer et Jean-Louis Véret, de l'Atelier de Montrouge.
Retrouvez l'article complet dans Ecologik 55 : Ville adaptable (sept-oct-nov 2017) actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne
POUR ALLER PLUS LOIN
www.atelierphilippemadec.fr
FICHE TECHNIQUE
ÉCOVILLAGE DES NOÉ
+ Lieu : Val-de-Reuil (27) - 4,5 hectares
+ Programme : 97 logements sociaux (individuels et collectifs), crèche, halle, chaufferie collective, parc public, horticulture, jardins familiaux.
+ Maîtrise d'ouvrage : Siloge d'Évreux et la Ville de Val-de-Reuil, S'pace environnement (AMO).
+ Crem : Bouygues bâtiment Grand-Ouest (mandataire), (apm) & associés et Plages arrière (architecture), Arc-en-terre (paysage), Tribu (environnement) , Fleur de lys (géobiologie), Ecotone (écologie, hydrologie), Sneta (VRD), Le cacheur (fluides), Aurore, puis Ysos (horticulture).
+ Labellisation : signature convention Écoquartier 2014 ; labellisation niveau 3 2017 ; suivi par le WWF au titre de One Planet Living.