En mars 2011, les habitants de Minamisanriku sont les premiers à ressentir l'impact du tremblement de terre de magnitude 9 dont l'épicentre se situe à 80 kilomètres de là, à l'est de la localité portuaire de 17 000 habitants. La ville, construite à peine au-dessus du niveau de la mer, est alors ravagée par le tsunami qui s'ensuit, et plus de la moitié de la population disparaît dramatiquement. Les survivants sont dispersés dans des abris provisoires, et le site est réduit à l'état de ville fantôme. Comment reprendre confiance face à une mer nourricière devenue soudainement si menaçante ? Très rapidement, l'Unicef apporte son soutien financier à la construction d'une structure temporaire pour accueillir les 47 enfants de l'école Asahi, dont le bâtiment a été détruit. Un workshop est organisé avec les élèves et leurs mères pour imaginer autour d'une maquette l'école idéale, tandis que l'agence Tezuka Architects est choisie pour concevoir le projet architectural. Pour Takaharu Tezuka, cofondateur du studio avec sa femme Yui, « l'école doit être un don pour l'avenir ». Il impose l'idée d'une construction conçue pour durer, plus précisément jusqu'à la prochaine vague géante, dans quatre cents ans. Une fréquence qui correspond aux siècles écoulés depuis le grand tsunami précédent, en 1611.
L'esprit des ancêtres
Sur les hauteurs de la ville, le temple Daioji a résisté au cataclysme. L'eau est montée jusqu'à l'entrée, endommageant l'allée bordée de cèdres massifs qui y menait, mais a épargné le lieu. Les architectes et le prêtre du temple qui dirige aussi l'école décident de récupérer ces arbres quadricentenaires pour construire le futur établissement scolaire. Au-delà de la beauté et de la chaleur du bois, de l'hommage à l'esprit des disparus, il s'agit à travers l'architecture de transmettre un message aux plus jeunes générations.
Un message ici martelé par Takaharu Tezuka : « Quand le grand tremblement de terre reviendra, vous devrez monter au temple et vos vies seront sauvées. »
Bâtie sur une colline à la lisière de la forêt, la nouvelle école vient elle-même rappeler l'architecture religieuse japonaise, comme le temple Kiyomizu-dera à Kyoto. Poteaux, poutres, solives et cales sont assemblés sans éléments métalliques, reprenant la tradition constructive de ces édifices majeurs. L'école est l'un des premiers bâtiments construits après le tsunami, et ce dans un esprit collaboratif, les artisans du village ayant mis la main à la pâte jusqu'à la dernière poutre posée à l'inauguration. Une renaissance pour les habitants.
Du château à la pagode
Les familles sont peu à peu revenues à Minamisanriku et cinq ans après le séisme, l'école Asahi, qui souhaite accueillir alors 100 enfants, est quelque peu à l'étroit. Le site a radicalement changé. Car si la plaine en contrebas, où se trouvait le centre-ville, est restée inhabitée, les hauteurs de la ville ont été nivelées. L'école, toujours perchée sur une butte, est dorénavant cernée par un nouveau quartier d'habitation, « tel un château », ironise Takaharu Tezuka. Les autorités envisagent de déplacer le bâtiment, mais les architectes, conscients de la valeur symbolique de la première construction, proposent de s'appuyer sur la pente du terrain restant pour l'agrandir. « Construisons notre école comme un temple », réaffirme alors le directeur de l'école, avec en tête le fameux monastère Eiheiji, où il étudia. Inspirés de ce complexe religieux à flanc de montagne, de nouveaux bâtiments viennent donc s'ajouter en contrebas de l'ouvrage initial, connectés par un grand escalier couvert. La construction devant être rapide et peu coûteuse, les architectes se tournent vers une solution standardisée, à base de bois lamellé-collé, tout en s'inspirant des assemblages traditionnels. Malgré son inscription particulière dans le site, les techniques millénaires associées aux logiciels les plus performants en font ainsi un des bâtiments locaux les plus résistants en cas de séisme.
Terrains de jeux
La topographie se prête aux terrains de jeux surélevés qui sont chers à Yui et Takaharu Tezuka. Ils peuvent ici s'affranchir encore davantage des limites, comme ils l'expliquent : « Ces enfants ont grandi dans les montagnes, ils aiment grimper, toucher la terre, ils sont beaucoup plus sauvages que ceux du Fuji Kindergarten. » De fait, les bambins explorent chaque recoin, allant jusqu'à se cacher au niveau des fondations. À l'intérieur, les classes sont divisées par des cloisons mobiles, et prolongées de terrasses périphériques, couvertes de larges auvents. Les enfants sont protégés des intempéries et du soleil dans cet espace intermédiaire retranscrivant les engawa des maisons traditionnelles. L'hiver, les salles sont chauffées grâce à la technique coréenne du ondol (chauffage par le sol), tandis qu'à l'arrivée des beaux jours, les portes vitrées s'ouvrent largement sur le paysage.
« Les collines ont été coupées tout autour, c'est un des rares endroits d'où l'on peut voir la mer », conclut malicieusement Takaharu Tezuka.
Article paru dans EcologiK 56 : Villes intelligentes...et durables ? (dec-janv-fév 2017/2018) actuellement en kiosque et disponible sur la boutique en ligne.
POUR EN SAVOIR PLUS
♦ Lire le témoignage de Tezuka Architects
FICHE TECHNIQUE
♦ Lieu : Minamisanriku, préfecture de Miyagi, Japon.
♦ Programme : quatre classes, une salle de jeux, une salle pour le personnel (phase 1) ; deux classes, blocs sanitaires et kitchenettes (phase 2).
♦ Maîtrise d'ouvrage : Asahi Kindergarten, avec la participation de l'Unicef (phase 1).
♦ Maîtrise d'œuvre : Tezuka Architects.
♦ Bureaux d'études : Chuto (constructeur), Tis & Partners (structure), Bonbori Lighting Architect & Associates (lumière), Ten-Kei (paysage), E&Y (design mobilier).
♦ Surfaces : 360 m² (phase 1), 390 m² (phase 2).
♦ Calendrier : septembre 2011 à février 2012, conception ; février à juillet 2012, chantier (phase 1) - décembre 2014 à septembre 2015, conception ; septembre 2015 à décembre 2016, chantier (phase 2).
♦ Système constructif et matériaux : bois de cèdre (phase 1) et bois de mélèze lamellé-collé (phase 2) (structure, plancher, cloisons, garde-corps, mobilier) ; béton (socle et fondations) ; plaques de cuivre (couverture des poteaux) ; membrane PVC (isolation toiture).
♦ Mesures environnementales : utilisation d'arbres locaux abîmés par le tsunami, ventilation passive avec engawa (coursives faisant sas autour des bâtiments).
♦ Installations techniques : système de chauffage et de rafraîchissement par le sol ondol (dérivé de la version traditionnelle coréenne, l'eau ayant aujourd'hui remplacé l'air).